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Un débat entre marxistes :

Défendre les palestiniens, et eux seuls

Le bulletin électronique interne au NPA Débat Révolutionnaire a récemment publié une longue étude relative à la question palestinienne, « l’impasse du nationalisme et la nécessité de renouer avec une politique prolétarienne » [1].

Ce texte vient à point. On sait qu'en Israël, un gouvernement ouvertement ségrégationniste est désormais au pouvoir. Pour les palestiniens, le pire est à craindre. Il est donc naturel, nécessaire, que les militants de lutte de classes débattent du contenu de la politique à mettre en œuvre en solidarité avec les palestiniens. C'est d'autant plus essentiel qu'on sait que le NPA est le seul parti à s'être prononcé clairement pour le boycott de l'État sioniste.

Comme on s'en doute, le texte de DR s'appuie largement sur les thèses initialement formulées par Lutte Ouvrière. On comprendra donc pourquoi le présent article s'appuie aussi sur un exposé de cette organisation relatif à la question palestinienne et publié récemment dans le cadre d'un CLT [2].

Rappels indispensables

Socialisme, nationalisme

Tout le texte de DR, à commencer par son titre est sous-tendu par une dénonciation de principe du nationalisme, censé être à la racine de l'« impasse » dans laquelle se trouvent les peuples du Proche-Orient (étant entendu que palestiniens et colons juifs sont mis sur le même plan).

Ainsi le projet initial de l'OLP est-il décrit comme celui

« qui incarne le mieux à sa façon les projets de la petite bourgeoisie du Tiers-Monde ».

A l'opposé, DR préconise de défendre

« des conceptions clairement alternatives aux politiques que mènent tous les partis nationalistes (...) »

C'est-à-dire :

« un programme de lutte de classe et un programme internationaliste, y compris en lien avec les travailleurs vivant en Israël, un programme qui réfléchisse davantage sur les méthodes de lutte de telles sorte qu'elles restent compatibles avec un projet d'émancipation des travailleurs par eux-mêmes (...) »

On notera que ces lignes sont donc étonnamment discrètes sur ce qui est au cœur de la situation au Proche-Orient : la revendication des palestiniens à exister comme peuple, à un État...

Lutte Ouvrière est sur la même longueur d'onde. Ainsi à propos des sionistes, cette organisation « regrette » que « si beaucoup d'entre eux se prétendaient socialistes, ils étaient d'abord des nationalistes » (l'obstacle, c'est donc le nationalisme, pas le colonialisme). De même, expliquant que « les juifs israéliens et les palestiniens (...) devront bien vivre ensemble », elle émet le souhait qu'apparaisse une génération de militants qui « choisissent d'autres perspectives que celles qui dressent les peuples les uns contre les autres ».

Bref, il s'agirait de se situer contre le mouvement national palestinien. L'ennemi, ce serait le nationalisme – que ce soit le chauvinisme juif ou le mouvement national palestinien.

La tradition marxiste

Comme on s'en doute, jamais les marxistes ne se sont opposés par principe aux aspirations nationales. Il n'est pas fortuit que le Manifeste du Parti Communiste, document fondateur du mouvement ouvrier moderne, évoque la question des luttes nationales :

« En Pologne, les communistes soutiennent le parti qui voit, dans une révolution agraire, la condition de l'affranchissement national, c'est-à-dire le parti qui fit, en 1846, l'insurrection de Cracovie.
En Allemagne, le Parti communiste lutte d'accord avec la bourgeoisie, toutes les fois que la bourgeoisie agit révolutionnairement contre la monarchie absolue, la propriété foncière féodale et la petite bourgeoisie. »

Plus que tout autre marxiste « classique », c'est cependant Lénine qui eut à travailler ces questions, vue la situation de l'empire tsariste. C'était d'autant plus essentiel que :

« Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c'est répudier la révolution sociale.  » [3]

Il nous semble que la conclusion s'impose : la méthode des communistes n'a jamais été de s'opposer par principe aux revendications nationales, de rejeter par principe tout nationalisme.

Notre méthode

On sait que les contradictions qui agitent la politique mondiale sont en général une enchevêtrement de lutte de classes et nationales. Tout le problème est d'orienter les secondes sur les premières, ce qui passe souvent (pas toujours) par la nécessité de défendre le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Dit autrement, l'objectif est d'ordonner les questions : l'action pour la satisfaction des revendications nationales est subordonnée au combat plus général pour l'expropriation du Capital. Chaque mouvement national s'évalue en fonction des nécessités de ce combat et pas en soi.

Les remarques de Lénine sur le sujet gardent toute leur importance :

« Il suffira à tous ceux qui s'intéressent au marxisme autrement que pour le répudier, de se reporter à ce qu'écrivaient Marx et Engels en 1848-1849 pour se convaincre qu'à cette époque ils opposaient, nettement et très précisément, "des peuples réactionnaires en leur entier" et servant d’"avant-postes russes" en Europe aux "peuples révolutionnaires", les allemands, les polonais, les magyars. C'est là un fait. Et ce fait était à l'époque d'une exactitude incontestable en 1848, les peuples révolutionnaires se battaient pour la liberté, dont le principal ennemi était le tsarisme, alors que les Tchèques, etc., étaient effectivement des peuples réactionnaires, des avant-postes du tsarisme. » [4]

Il ne s'agit donc pas de soutenir n'importe quel mouvement national, mais seulement les « peuples révolutionnaires » (on connait l'engagement passionné de Marx pour la cause polonaise, par exemple). Par contre le soutien à ces peuples « révolutionnaires » était inconditionnel et total dans les conceptions des fondateurs du communisme.

A l'évidence, au moment présent, le « peuple révolutionnaire » par excellence, ce sont les palestiniens – d'où l'importance de cette discussion.

Lutte nationale, lutte de classes

Constatant l'échec actuel de la résistance palestinienne, DR écrit :

« se battre, mais pour quel projet de société, avec qui et de quelle manière, au profit de quelle classe sociale ? C'est tout cela qui est en jeu. Or, sous prétexte que la question nationale est au premier plan, on fait souvent comme si la lutte de classes avait disparu (...) »

Ce qui nous semble déjà erroné. Non, les masses ne se battent pas pour « un projet de société ». Elles se battent tout simplement pour exister. Ce n'est pas l'idéologie mais bien des facteurs matériels au plus haut point qui les mettent en branle à Gaza ou Jénine. Et le rôle des marxistes est de canaliser ce mouvement, de l'orienter sur une ligne anti-impérialiste.

Mais l'article précise :

« les questions politiques, notamment celles de l'impérialisme, et le fait matériel et incontournable des classes sociales, sont évacués d'office. »

Comme souvent, l'ouviérisme, cette construction purement intellectuelle, aboutit à une impasse. Car disons le tout net : si, en Palestine, l'activité politique de la résistance avait pu aboutir à en finir avec l'oppression nationale des palestiniens, il faudrait déjà considérer cela comme un succès partiel, ne serait-ce que parce que ce serait un affaiblissement considérable de l'ordre impérialiste.

On notera d'ailleurs que L. Trotsky ne disait pas autre chose :

« Une place particulièrement importante revient à la question des pays coloniaux et semi-coloniaux d'Orient qui combattent pour un État national indépendant. Leur lutte est incontestablement progressiste : arrachant les peuples arriérés à l'asiatisme, au régionalisme, à la soumission à l'étranger, ils portent des coups sévères aux États impérialistes. » [5]

Le problème, c'est que jusqu'à maintenant, les palestiniens sont allés d'échec en échec, sur ce terrain comme sur les autres. L'obstacle n'a pas été que la question sociale soit « évacuée d'office », mais que la politique des organisations petites-bourgeoises, Fatah, FPLP ou autres, n'a mené à rien de bon pour les palestiniens, sur tous les terrains – national et social.

Pro-palestiniens, pas pacifistes

Peuples oppresseurs, peuples opprimés

Autre aspect essentiel de la question : la nécessité d'avoir une orientation différenciée selon qu'on considère un peuple oppresseur ou opprimé. Présentant les thèses sur la question coloniale au II° congrès de l'Internationale Communiste, Lénine indique :

« En premier lieu, quelle est l'idée essentielle, fondamentale de nos thèses ? La distinction entre les peuples opprimés et les peuples oppresseurs. Nous faisons ressortir cette distinction, contrairement à la II° Internationale et à la démocratie bourgeoise. A l'époque de l'impérialisme, il est particulièrement important pour le prolétariat et l’'Internationale Communiste de constater les faits économiques concrets et, dans la solution de toutes les questions coloniales et nationales, de partir non de notions abstraites, mais des réalités concrètes. » [6]

Partant de là, on peut comprendre sa conception de l'internationalisme :

« L'éducation internationaliste des ouvriers des pays oppresseurs doit nécessairement consister, en tout premier lieu, à prêcher et à défendre le principe de la liberté de séparation des pays opprimés. Sinon, pas d'internationalisme. Nous avons le droit et le devoir de traiter d'impérialiste et de gredin tout social-démocrate d'une nation oppressive qui ne fait pas cette propagande. (...)
Au contraire, le social-démocrate d'une petite nation doit reporter le centre de gravité de son agitation sur le premier mot de notre formule générale: "union librement consentie" des nations. Il peut, sans faillir à ses obligations d'internationaliste, être à la fois pour l'indépendance politique de sa nation, et pour son intégration à un État voisin X, Y, Z, etc. »

Appliquée au cas de la Palestine, cette méthode – que nous continuons à défendre – implique le refus de placer sur le même plan palestiniens et israéliens, de nous situer pleinement aux côtés des palestiniens, et d'eux seuls.

Pacifisme ou anti-impérialisme

C'est justement cette posture politique que tous ceux qui se situent dans la tradition politique de Lutte Ouvrière se refusent à suivre.

Ainsi DR défend la perspective d'« un combat qui ne se mènera pas contre les israéliens mais avec eux ». Il s'agirait de trouver

« une perspective commune pour tous les peuples de la région, parce que la question nationale ne pourra trouver de véritable solution qu’en étant prise en charge par les opprimés et les exploités eux même »

On est en droit de se demander si le rédacteur croit lui-même à cet angélisme.

En tout cas, il s'agirait de tendre la main aux colons juifs – au motif qu'ils seraient tourneurs ou infirmières. Comme si leur position sociale déterminait mécaniquement leur conscience ! La réalité est évidemment différente. Les travailleurs dont il est question sont non seulement travailleurs mais en même temps des colons, qui bénéficient largement de cette dernière position.

Comment l'ignorer lorsqu'on parle de tactique révolutionnaire ?

Tout ceci marque évidemment tous les rapports politiques. Un seul exemple, relaté par O. Barghouti [7]. Lors de l'agression de Gaza une pétition avait circulé dans les universités israéliennes. Sans prendre position sur le fond, elle demandait seulement que soit facilité le passage des étudiants palestiniens vers leurs lieux d'études. Cette pétition – pourtant des plus modérée – n'a reçu le soutien que de 400 universitaires israéliens. Dans le même temps, un texte circule réclamant l'eviction de Barghouti de son université. 80 000 personnes l'ont signé....

On comprendra pourquoi nous considérons que miser sur le pseudo « camp de la paix » a quelque chose d'irréel....

L'important est que ces conceptions aboutissent à nous placer sur le terrain du pacifisme, c'est-à-dire sur le même terrain que la gauche officielle - PCF, PS, CGT et tutti quanti. C'est-à-dire celui de tous ceux qui ont accepté d'accompagner et faire la retape d'un « processus d'Oslo », dont on connait le bilan pour les palestiniens.

Combattre le sionisme, combattre la ségrégation

On se doute qu'il est impossible d'évoquer la situation actuelle de la Palestine sans revenir – au moins brièvement – sur la question du sionisme. Or force est de constater que tant DR que LO sont étonnamment mesurés à ce sujet.

Le texte du CLT rappelle pourtant que le père fondateur du sionisme (Herzl) militait pour établir en Palestine « l'avant-garde de la civilisation contre la barbarie » - on ne saurait mieux formuler un projet de type colonial, qui devait être combattu par les marxistes avec la dernière énergie.

Le projet sioniste fut d'ailleurs énergiquement dénoncé par toutes les branches de la social-démocratie : Bund (parti socialiste juif), bolchéviks, menchéviks, etc. Pour le mouvement ouvrier, c'est en Europe que devait se régler la question juive, ce qui passait nécessairement par l'arrêt des persécutions. Ainsi, la résolution votée lors du congrès bundiste de 1901 expliquait :

« Le congrès estime que l’agitation des sionistes est un frein au développement de la conscience de classe. Que ce soit dans les organisations économiques (caisses) ou politiques (section Bundistes), il ne faut pas admettre les sionistes. » [8]

Le sabre et le goupillon

Malheureusement, DR préfère spéculer sur une « physionomie particulière du projet sioniste », et tout embrouiller, au prétexte que l'objectif n'aurait pas été d'asservir les palestiniens mais de les expulser (la belle affaire !). Mais ce n'est pas l'essentiel.

Comment, en effet, ne pas faire de bond lorsque l'article évoque le « projet national, républicain, laïc qui était celui de Ben Gourion » ?

Il suffit de consulter la prose dudit Ben Gourion, par exemple ses « Lectures de la Bible », pour mesurer le caractère « laïc » de sa « pensée », digne d'une grenouille de bénitier :

« En partant vers la diaspora, notre peuple a été arraché de la terre sur laquelle la Bible a germé, et extrait du cadre de la réalité politique et spirituelle dans lequel il s'est développé. (...) En exil, l'image de notre peuple a été distordue et déformée comme celle de la Bible.(...) C'est maintenant seulement que, redevenus libres dans notre pays, nous respirons de nouveau l'air qui environnait la Bible. Le temps, il me semble, est venu d'appréhender son essence et sa fiabilité, sur le plan tant historique et géographique que religieux et culturel. » [9]

Le « travaillisme » des rabbins

L'appréciation que fait DR des organisations sionistes doit aussi être relevée. Voyant « une mutation très importante » du sionisme dans les années 30, l'article indique :

« C'est la gauche qui s'impose, notamment le parti travailliste (le Mapaï) lié au mouvement ouvrier et adhérent à la II° Internationale. Le parti de Ben Gourion épaulé par des mouvements qui se veulent plus révolutionnaires comme l'Hachomer Hatzaïr donne du même coup une physionomie particulière au projet sioniste. »

Dès lors on comprend mieux la mesure de DR. Si le Mapaï était un parti de type social-démocrate, il est nécessaire de prendre quelques précautions.

Le problème, c'est que cette appréciation est tout simplement fausse.

Historiquement, le Parti « Travailliste » israélien (MAPAI) tire ses origines du parti des « Ouvriers de Sion » (Poale Tsion), actif dans l'empire tsariste avant 1917 et membre de l'Organisation Sioniste Mondiale, ce qui l'exclut par là même du mouvement ouvrier. Ce parti expliquait que la solution du problème juif ne pouvait que passer par la constitution d'un État en Palestine, d'où son désintérêt de la situation des masses juives et de leur combat contre l'autocratie tsariste. Inutile de dire que dans ces conditions, tous les partis ouvriers le dénonçaient vigoureusement, à commencer par le Bund.

Le MAPAÏ était donc un parti de type colonial et rien d'autre. Certes, Ben Gourion fit un coup de génie en maquillant son organisation en parti « socialiste », avec la bénédiction des dirigeants de la II° Internationale. Mais est-ce à des militants de lutte de classe de relayer cette démagogie ?

Sans être aussi explicite que celui de DR, le texte de LO se situe sur une orientation similaire. Ainsi est-il fait grand cas des « idéaux socialistes » des partisans de Ben Gourion. Comme si leurs illusions, leurs alibis (pour nombre d'entre eux) avaient la moindre importance face aux atrocités commises par les sionistes depuis 1947 ! En tout cas, on nous explique que

« les dirigeants sionistes firent le choix de ne pas s'adresser aux masses arabes car, même si beaucoup se prétendaient socialistes, ils étaient d'abord des nationalistes. »

Imaginer un parti politique constitué justement pour spolier les palestiniens « s'adresser aux masses arabes », voilà qui nous laisse pour le moins perplexes....

Quant au « socialisme » de Ben Gourion, le mieux est sans doute de le citer lui-même. Voici ce qu'il expliquait dans un discours de 1931, prononcé en tant que secrétaire général du parti « travailliste » :

« Le régime socialiste et la commune ne peuvent avoir aucun intérêt pour nous dans ce pays si ceux qui les appliquent ne sont pas des travailleurs juifs. Nous ne sommes pas venus ici pour organiser qui que ce soit, et nous ne sommes pas ici pour répandre l'idée socialiste auprès de qui que ce soit. Nous sommes ici pour établir une patrie de travail pour le peuple juif » [10]

La Histadrouth, un syndicat ?

DR évoque aussi la Histadrouth, présentée comme une central syndicale comme une autre.

Pour les marxistes, un syndicat, c'est une organisant unissant les travailleurs, les dressant comme classe (« pour soi ») face à celle des capitalistes, et leur permettant de limiter autant que possible le taux d'exploitation.

À cette aune, la Histadrouth n'a rien à voir avec un syndicat.

Son objectif ne fut jamais d'unir les travailleurs de Palestine, par delà leurs différences ethniques ou religieuses, mais au contraire de les diviser selon cet axe. Le terme « Histadrouth » signifie d'ailleurs Union Générale des Travailleurs Juifs (ce dernier qualificatif fut choisi en toute conscience lors d'un congrès du parti sioniste de 1906 [11]). En fait ce « syndicat », longtemps le principal employeur du pays, fut un pilier de l'État sioniste et un outil essentiel pour couper les colons nouvellement arrivés de leurs racines culturelles – souvent ouvrières et socialistes.

En tout cas, ce qui importe, c'est que les conceptions véhiculées par DR interdisent de mener l'indispensable activité de démystification du sionisme, de le combattre en tant que tel. Or il s'agit d'une tâche immédiate pour les militants du NPA : ce pseudo-syndicat entretient des relations tant avec la FSU que la CGT...

Le mouvement des kibboutz, fer de lance de la colonisation

On sait que durant des décennies la propagande de l'agence juive s'est évertuée à présenter les kibboutz comme des sortes de phalanstères idylliques, préfiguration d'un « socialisme » en construction au sein de l'État d'Israël.

La réalité est que, pour coloniser les territoires conquis, l'État sioniste avait besoin d'une main d'œuvre totalement dévouée et fonctionnant selon des normes quasi-militaires, car situés aux avant-postes des territoires conquis par les troupes israéliennes. Le fonctionnement des kibboutz était aussi « égalitaire » que celui de n'importe quelle caserne, ni plus ni moins. Ajoutons que la quasi-autarcie de ces structures était propice au décervelage de colons fraichement arrivés.

On est donc interloqué de voir Lutte Ouvrière relayer la propagande sioniste et nous chanter que les kibboutz

« étaient organisés suivant des idéaux égalitaires « communistes » : il n'y avait pas de propriété privée (Tu parles, Charles ! - NR), tout était mis en commun (...) »

L'article de DR est plus prudent – il rappelle que les kibboutz furent édifiés sur la base de la spoliation des palestiniens. Il ne prend pas moins acte des pseudo-idéaux « égalitaires » (entre juifs) présidant au fonctionnement des kibboutz au lieu de démystifier ce pipeau sioniste.

De regrettables oublis

Tant le texte de DR que celui de LO retracent l'Histoire de la Palestine depuis le début du XX° siècle avec force détails.

On ne peut donc qu'être étonné de leur silence quasi-total sur les rapports tissés par les principales forces politiques juives avec les nazis. Pourtant tout ceci a été amplement documenté.

C'est logique : nazis et sionistes partageaient l'objectif de voir les juifs quitter l'Europe. Il y avait donc là une base de discussions entre les deux parties. Ben Gourion cadra d'ailleurs la politique sioniste dès 1938 de la façon suivante :

« Si je savais possible de sauver tous les enfants actuellement en Allemagne en les faisant venir en Angleterre et seulement la moitié d'entre eux en les transportant en Eretz Israël, eh bien j'opterais pour la deuxième solution. » [12]

En conséquence, comme on s'en doute, le mouvement sioniste fut des plus discrets sur le front de l'aide aux juifs d'Europe – n'hésitant pas à s'acoquiner avec les nazis. Katznelson, un dignitaire sioniste, commit les lignes suivantes, qui se passent de commentaires :

« Les juifs allemands étaient trop vieux pour avoir des enfants en Palestine (...). A la place de ces juifs confrontés à l'extermination, l'OSM fit venir en Palestine 6000 jeunes sionistes en provenance des USA, d'Angleterre ou d'autres pays sans danger. Pire, l'OSM non seulement ne chercha pas aucune alternative pour les juifs confrontés à l'holocauste, mais encore les dirigeants sionistes s'opposèrent-ils de façon belliqueuse à tous les efforts pour fournir un refuge aux juifs en fuite. » [13]

Il est certain que l'évocation de ces épisodes rendrait la modération de DR et LO vis-à-vis du sionisme encore plus intenable.

Quelle politique face à l'État d'Israël ?

1947 : Wall Street et le Kremlin contre les palestiniens

On sait qu'à partir de 1945 les accords de Yalta allaient mettre en place le cadre de la coopération entre Washington et le Kremlin. L'alliance contre-révolutionnaire de Roosevelt et Staline allait se partager le monde, dans le plus total mépris du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Dans ce cadre, la Palestine aboutit dans la « sphère d'influence » yankee, d'où le soutien de l'URSS au plan particulièrement cynique de partition de la Palestine échafaudé à l'ONU (résolution 181). Le vote de l'ONU allait lui-même permettre à Ben Gourion de proclamer l'État d'Israël.

La politique du Kremlin s'inscrivait après le soutien de la social-démocratie internationale aux sionistes. Elle allait coûter très cher au mouvement ouvrier tout entier et explique largement le discrédit des PC de cette région du monde (ils ont désormais disparu pour l'essentiel). A ce propos, DR évoque les « zigzags » des PC : en fait leur politique fut constamment de soutenir le nouvel État. Il n'y eut aucun zigzag mais une politique constante de soutien à l'impérialisme.

La IV° Internationale a sauvé l'honneur

En tout cas, un seul courant sauva alors l'honneur du mouvement ouvrier : la IV° Internationale, combattant alors « contre Wall Street et le Kremlin ». Certes, sur le terrain, les trotskystes n'étaient qu'une poignée et ne pesaient pas. Mais le fait est que seule la IV° Internationale se prononça explicitement contre l'État sioniste, définissant sa position de principe de la façon suivante :

« Elle sera à l'avant-garde du combat contre la partition, pour une Palestine unie et indépendante, dans laquelle les masses détermineront souverainement leur destin par l'élection d'une Assemblée Constituante »

C'est évidemment dans cette filiation politique que se situe le présent article.

A ce propos, notons tout de suite que tant DR que LO insistent sur le caractère « inégalitaire » du plan de partage de 1948. C'est aussi l'angle d'attaque de tous les pacifistes, de toute cette gauche qui met colons et palestiniens sur le même plan (le PCF, le PS, l'AFPS, etc.). Il faut donc insister sur le fait que c'est la constitution même de cet État, qu'il fallait combattre, que combattit à juste titre l'Internationale trotskyste. Pas ses modalités.

En tout cas, DR fait une longue citation des textes de la IV° Internationale. Le lecteur distrait en déduira que le rédacteur considère cette politique comme juste.

Ce n'est pas le cas : il la réfute quelques lignes plus loin. Ainsi dénonce-t-il le mot d'ordre de « destruction de l'État juif » [14] dans les termes suivants :

« Détruire l'État - dans la mesure du moins où cette expression veut dire quelque chose – c'est ce qu'il aurait fallu faire avec tous les États de la région. (...) Car imagine-t-on par exemple que la question de l'eau puisse être résolue à l'échelle de micro-États comme Israël et la Palestine réduite à la Cisjordanie et Gaza ? Plus que jamais, le vieux mot d'ordre de l'Internationale Communiste, puis de la IV° Internationale, une « Fédération socialiste des peuples du Moyen-Orient », reste d'actualité ! ».

Mille excuses. Selon la IV° Internationale elle-même, le mot d'ordre de « Fédération socialiste des peuples du Moyen-Orient » n'est pas séparable du combat contre la partition du pays, contre l'État juif (« contre la partition, pour une Palestine unie et indépendante » ) :

« elle ne peut mener ce combat avec une chance de succès qu'à condition qu'elle prenne position, sans équivoque, contre la partition du pays et l'établissement d'un État juif. »

Au-delà, le passage de DR ci-dessus nécessite plusieurs remarques.

D'abord, écrire que « détruire un État ne signifie rien » revient à nier le rôle d'une révolution sociale ! Tout ceci est-il bien raisonnable ?

Ensuite, évidemment, les marxistes sont favorables à la destruction de tous les États de type bourgeois. Mais mettre sur le même plan l'État sioniste et celui d'un pays comme la Jordanie (qui n'a pourtant aucune légitimité), argument classique de LO, c'est passer sous silence la spécificité d'Israël comme État de type colonial. C'est se refuser à prendre en compte la haine légitime des masses de ces pays pour le sionisme, ce puissant moteur du combat anti-impérialiste.

Ce que sous-tend cet argument, c'est la répugnance à prendre en charge le combat pour le droit à l'existence du peuple palestinien, pour la revendication élémentaire, démocratique, de démantèlement de l'État sioniste, de l'établissement d'une république palestinienne, « laïque et démocratique ».

Nous restons pour notre part inconditionnellement partisans d'une telle république, sans préalable d'aucune sorte, notamment la nature sociale de cette république. Pour une raison simple : une telle république aurait au moins le mérite d'assurer au peuple palestinien son droit à l'existence, permettrait d'en finir avec le véritable apartheid dont sont victimes les palestiniens, à commencer par le mur de la honte.

N'importe quel palestinien conviendra que le simple démantèlement de l'État sioniste serait déjà un acquis essentiel, face à l'enfer qu'ils subissent jour après jour.

Alors, certes, cela ne « suffit pas ». En dernière analyse, aucune question socio-économique ne peut être réglée dans le cadre exigu de la Palestine, d'où la nécessité d'avancer le mot d'ordre de gouvernement « ouvrier-paysan », premièr pas vers des États Unis du Proche et Moyen Orient. Mais justement, ces Etats Unis ne peuvent exister sans remise en cause les divers tripatouillages impérialistes qui ont eu lieu dans cette région depuis 1920, dont la création de l'État sioniste.

Autrement dit, en aucun cas ces objectifs tradionnels des trotskystes ne sauraient être conçus comme des préalables à l'engagement du combat pratique à mener contre l'impérialisme.

La théorie de la révolution permanente n'a en effet jamais eu pour objectif d'entraver les conditions politiques de l'action anti-impérialiste, bien au contraire. Elle ne fait que démontrer que ce combat ne peut être mené par la bourgeoisie nationale jusqu'au bout. Ce qui est fort différent.

Quelles solutions politiques ?

Les prémices du programme de LO pour le Proche-Orient sont les suivantes :

« A défaut d'un État binational avec les mêmes droits pour les deux peuples, l'aspiration à un État national est aussi légitime pour le peuple palestinien qu'elle l'a été pour les juifs chassés d'Europe. »

(DR dit la même chose en faisant référence au manifeste de 1967 de l'Organisation Socialiste Israélienne, qui se prononçait pour la « désionisation » de l'État d'Israël, donc sa pérennisation).

En d'autres termes, on nous demande de reconnaitre au moins une partie des expulsions qui se sont succédées depuis 1947, ce qui revient qu'on le veuille ou non à remettre en cause la revendication du droit au retour. Eh bien non !

Nous restons pour notre part – comme Lénine, comme Trotsky, comme la IV° Internationale de 1948 – opposés au nationalisme juif. Nous ne reconnaissons aucune légitimité à un État juif en Palestine car cela signifie accepter la spoliation palestinienne, ne serait-ce que partiellement.

En tout cas, le fait de reconnaitre la légitimité de l'État d'Israël – car c'est bien de cela qu'il s'agit – est un désaccord majeur avec la position traditionnelle de la IV° Internationale, du mouvement trotskyste.

C'est un fait qu'il existe désormais des populations juives installées en Palestine depuis des décennies. En encourageant le nationalisme juif, les grandes puissances ont créé une solution inextricable au Proche-Orient. A l'impérialisme d'assumer les dégâts de la situation. Les palestiniens, eux, n'y sont pour rien et revendiquent depuis des décennies l'arrêt de l'immigration juive. Ils ne sont pas non plus responsables du sort des colons qui se font encore actuellement utiliser comme masse de manœuvre. C'est à l'impérialisme et à lui seul qu'il revient de régler la question.

Que ceux des colons qui désireront quitter la Palestine (ils seront inévitablement nombreux dans le cadre de la perte des privilèges que leur accorde l'impérialisme) soient dédommagés à hauteur des dégâts commis, par les vrais donneurs d'ordre de ce désastre – l'impérialisme US en premier lieu.

Le droit des palestiniens implique-t-il l’exode des juifs ? Rappelons qu’à la fin de la guerre d’Algérie, c’est l’OAS et non les algériens qui ont poussé les colons pieds noirs à l’exode. Rappelons aussi que la Charte de l’OLP (1967) ne disait pas qu’il fallait chasser les juifs, reconnaissait les droits démocratiques (langues, religions, etc.) de toutes les communautés résidant en Palestine. Se prononcer pour le démantèlement de l'État sioniste, ce n'est évidemment pas dire « les juifs à la mer ! », comme on peut le comprendre à la lecture des textes de DR et LO !

A propos du mouvement national palestinien

DR et LO reviennent longuement sur la « faillite » de l'OLP. Si on en croit le CLT :

« le seul objectif d'Arafat était la création d'un État palestinien sur l'ensemble du territoire occupé par Israël, ce qui en clair signifiait sa destruction. »

DR laisse entendre la même chose, en termes moins clairs.

Or tout ceci n'est pas conforme àla réalité. Certes, la Charte de l'OLP de 1967 se prononçait pour « une république laïque, démocratique, multi-confessionnelle sur tout le territoire palestinien » - ce qui rejoignait le programme de la IV° Internationale, comme on l'a vu. Mais ce document fut rapidement « relativisé » avant d'être abandonné.

On voit qu'il est très, très exagéré de faire de la direction de l'OLP un courant « nationaliste » irréductible...

La réalité est plus simple : la revendication du droit à l'existence du peuple palestinien ne peut être satisfaite sans remise en cause complète de l'ordre impérialiste. Elle implique une lutte systématique contre l'impérialisme US et ses divers partenaires (en particulier les diverses dictatures arabes sévissant dans la région). Un tel combat, fusionnant lutte nationale et sociale ne pouvait évidemment être mené par une organisation petite-bourgeoisie, largement financée par les régimes de la région.

En dernière analyse, l'effondrement de l'OLP, c'est celui d'une organisation incapable d'assumer un programme trop ample pour la chétive petite bourgeoisie palestinienne.

Cet effondrement n'est pas du à un radicalisme nationaliste exagéré mais au contraire à la capitulation de cette organisation face à l'impérialisme.

On mesure au passage combien il est faux de reprocher à l'OLP d'avoir renforcé ainsi le consensus politique existant parmi les colons, ainsi que l'explique LO :

« les dirigeants de l'OLP permettaient aux sionistes de se poser en défenseurs du peuple juif luttant pour sa survie. » [15]

Mais si on comprend bien cet argument, il signifie que LO reconnait à Israël ce fameux « droit à l'autodéfense » que les dirigeants sionistes n'ont cesse de proclamer pour couvrir leurs exactions. La encore, on ne peut que remarquer que LO se situe sur le terrain de la gauche officielle, contre le programme traditionnel des trotskystes.

Les accords d'Oslo

Concernant Oslo, DR a des formulations contradictoires qui en désorienteront plus d'un. Ainsi est-il écrit :

« C’est cette confrontation directe avec la population (l'Intifada - NR) qui a obligé Israël à négocier et à reconnaître l’OLP qui s’est retrouvée sauvée d’une certaine manière par une révolte qu’elle n’avait ni voulue ni préparée, jusqu’à accepter un compromis, celui d’Oslo en 1993. Un compromis certes pourri, on le verra dans notre prochain article, mais un compromis quand même, le premier en tout cas qu’Israël acceptait de négocier depuis le début de son existence. »

Si on comprend bien, les accords d'Oslo auraient « obligé » l'impérialisme et Israël à reconnaitre l'OLP. Dans ce cas, comment jeter la pierre à Arafat et à ceux qui l'ont soutenu (la gauche officielle, la majorité de la LCR, etc.) ? Tout compromis, même minime est évidemment bon à prendre, et la situation des palestiniens interdit de faire du radicalisme sur leur dos.

C'est d'ailleurs au nom de l'existence d'un tel compromis, que la direction de la LCR se crut alors autorisée à soutenir l'OLP, d'adopter les positions de cette organisation (le fameux « État palestinien ayant Jerusalem-Est pour capitale »).

Le problème c'est qu'il n'y eut nullement de compromis à Oslo. Il suffit de lire ce que l'OLP accepta de signer. Comme le dit l'article lui-même :

« Ce prétendu plan de paix ne visait qu’à neutraliser toute résistance palestinienne en confiant le soin à Arafat d’assurer la police à la place de Tsahal, tout en poursuivant sans relâche une politique de colonisation des territoires occupés, ce qui est évidemment contradictoire avec leur indépendance, même à long terme. Il n’y a donc pas à regretter Oslo, pas plus qu’il y a à imaginer un processus du même type mais qui se ferait avec des personnes de bonne volonté comme l’ont tenté les négociateurs des « accords de Genève » soutenus par les anciens pacifistes de « La paix maintenant ».

Oslo, ce fut la capitulation de l'OLP en échange de quelques prébendes. Dès lors comment parler de compromis ? Comprenne qui pourra !

Combattre l'islamisme

Le refus du mouvement ouvrier international de soutenir réellement les palestiniens depuis des décennies a évidemment eu un prix politique. Quasiment nulle part, le mouvement ouvrier n'a pu s'implanter durablement. Le clergé chiite a donc pu faire main basse sur la révolution prolétarienne en Iran (1979-1980), le seul pays de cette région du monde où l'impérialisme a subi une défaite significative depuis l'après-guerre. Dans ces conditions de chaos politique, on assiste à une montée du cléricalisme au sein du monde arabo-musulman.

évidemment, il n'y a aucune raison d'avoir la moindre complaisance pour ces courants réactionnaires particulièrement moyenâgeux. C'est même une responsabilité élémentaire des marxistes que de combattre ces courants - ils ne font pas mystère de leur hostilité fondamentale envers le mouvement ouvrier, et n'hésitent pas à le combattre y compris par les armes lorsqu'ils en ont les moyens.

Ca n'empêche pas que DR est dans le vrai en caractérisant le succès électoral du Hamas (2006) comme

« (...) la conséquence des prétendus « accords de paix » d’Oslo. Non seulement le processus de colonisation s’est poursuivi, mais les conditions de vie de la population se sont terriblement dégradées au quotidien. (...) »

Mais ce que n'expliquent ni DR ni LO, c'est que cette victoire électorale islamiste s'explique non seulement par le rejet d'Oslo, mais aussi par le refus de ce parti de reconnaitre l'État sioniste. Récemment encore, le porte-parole du mouvement déclarait :

« La position du Hamas est connue: la non reconnaissance de l'entité sioniste » [16]

étant la seule force politique palestinienne significative à avoir une telle position, le Hamas en retire les bénéfices.

En pratique, les choses sont évidemment plus ambigües. Mais pour ce qui nous importe, le fait est que la reconnaissance de la légitimité de l'État d'Israël n'aboutit qu'à une chose : envoyer les masses de Palestine dans les bras des cléricaux. Car ces masses savent que leurs droits élémentaires resteront niés tant que subsistera l'État sioniste.

En ce sens militer pour que le mouvement ouvrier se situe sur une base de refus totale du sionisme et son État, c'est combattre l'islamisme non pas en paroles mais en actes.

« Une politique indépendante pour les opprimés »

Ceci étant, DR mélange les questions en écrivant :

« Le problème, c’est que l’alternative à Oslo ou à tout processus semblable revient le plus souvent au sein de la gauche en France à s’aligner derrière le nationalisme palestinien, que son discours soit plus ou moins gauchi par une phraséologie marxiste comme dans le cas du FPLP et du FDLP, ou carrément religieux avec le Hamas, sous prétexte que ce sont les seuls aujourd’hui à vouloir se battre et à être encore en capacité de le faire.
Au nom du « réalisme », ce choix revient de fait à écarter à priori la possibilité de mener une politique indépendante pour les opprimés »

Il est bien sûr certain que nous devons défendre une politique indépendante au service des travailleurs de Palestine. C'est notamment ce qui justifie la nécessité de faire de la propagande pour un Parti Ouvrier, pour des syndicats libres.

Il est tout aussi incontestable que soutenir un peuple en lutte contre l'impérialisme ne revient pas à choisir de qui on portera les valises, mais à élaborer notre propre politique, nécessairement prolétarienne, selon les termes de DR.

Et certes, c'est sombrer dans l'opportunisme le plus crasse que d'embellir les islamistes, ou de se masquer l'extraordinaire confusion d'une organisation comme le FPLP.

Il n'en demeure pas moins qu'une politique communiste en Palestine mettrait nécessairement au centre la lutte pour la libération de la Palestine, l'expulsion de l'impérialisme de la région. Rien n'est plus essentiel aujourd'hui dans ce pays, et d'une façon générale au Proche-Orient.

Aucune politique « indépendante » ne peut exister si elle n'a pas pour objectif central le combat contre l'impérialisme ! Et pour cet objectif, pour infliger une défaite, même limitée, à l'impérialisme, aucun accord, même avec les pires acteurs n'est à exclure. En son temps, déjà, Trotsky écrivait :

« Il règne aujourd'hui au Brésil un régime semi-fasciste qu'aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l'Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du Brésil « fasciste » contre l'Angleterre « démocratique ». Pourquoi ? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n'est pas de démocratie ou de fascisme qu'il s'agirait. Si l'Angleterre gagnait, elle installerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchainerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l'emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas [17]. La défaite de l'Angleterre porterait en même temps un coup à l'impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais. » [18]

C'est au nom de cette méthode que la quasi-totalité des courants trotskystes dans le monde ont soutenu le Hezbollah contre Israël lors de l'intervention de ce dernier pays au Liban (2006). Evidemment, cette position trotskyste traditionelle ne fut pas celle de LO et de ceux qui se réclament de sa méthode politique (dont DR).

Par contre, il est décisif, que même dans le cadre de telles alliances, l'indépendance du mouvement ouvrier soit préservée :

« Au lieu de se ravaler une fois encore à servir de claque aux démocrates bourgeois, les ouvriers, et surtout la Ligue, doivent travailler à constituer, à côté des démocrates officiels, une organisation distincte, secrète et publique du parti ouvrier, et faire de chaque communauté le centre et le noyau de groupements ouvriers où la position et les intérêts du prolétariat seraient discutés indépendamment des influences bourgeoises. » [19]

En tout cas on est loin, très loin de l'islamo-gauchisme comme de la ligne défendue par DR....

Conclusion : agir en défense des palestiniens

Ce texte, déjà trop long, nous a semblé indispensable afin de réaffirmer les positions trotskystes traditionnelles vis-à-vis du sionisme.

Mais il serait bien sûr incomplet si on n'évoquait, même brièvement, la question de l'activité à mener en défense des palestiniens. Pour DR, mener campagne pour le boycott d'Israël est d'une « efficacité douteuse ». Voire... En tout cas, tout dépend de quel boycott il s'agit. S'il s'agit d'une action de classe mise en œuvre par le mouvement ouvrier, on est en droit de douter de cette opinion.

En tout cas, ce qui est certain, c'est que dès que la question est mise en avant, cela provoque la fureur des sionistes. En 2002, l'Université de Paris VI avait voté une (timide) résolution pouvant être interprétée comme allant dans le sens du boycott. Le résultat ne se fit pas attendre, selon l'AFP :

« 6 janvier 2003. Plus de 3000 personnes manifestent leur indignation devant le parvis de Jussieu. Le conseil d’administration de l’université Pierre et Marie Curie (Paris VI) vient d’adopter une motion demandant le non-renouvellement des accords de coopération avec les universités israéliennes. Les principaux syndicats étudiants, dont l’UNEF et l’UEJF, rejoignent, outre le CRIF, des personnalités du monde intellectuel français, de Bernard-Henri Lévy, ou Alain Finkielkraut à Dominique Strauss-Kahn, Alexandre Adler ou encore Jack Lang. »

Ajoutons que les principaux leaders syndicaux (Thibault, Aschiéri...) s'étaient désolidarisés des universitaires anti-sionistes [20]. Dans ces conditions, ceux-ci furent obligés de faire machine arrière.

Ce qu'illustre cet épisode, c'est que mener campagne pour le boycott d'Israël a un impact. Mais là encore, il ne peut se faire « à côté » des grandes organisations du mouvement ouvrier – on doit militer pour qu'elles reprennent ces revendications à leur compte, par exemple la FSU ou l'UNEF.

En bref, sur ce terrain comme sur les autres on ne peut faire l'économie du combat pour la rupture avec la bourgeoisie, pour le Front Unique Ouvrier. Ce qui n'a rien d'étonnant !


[1] Voir les bulletins DR n°8 & 9 sur le site internet http://www.npa-debatrevolutionnaire.org/

[2] Cercle L. Trotsky n°109 : Israel – Palestine – Comment l'impérialisme, en transformant un peuple en geôlier d'un autre, a poussé les deux dans une impasse tragique. 01/02/2008.

[3] Lénine : bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes. 1916.

[4] Lénine : Ibid.

[5] L. Trotsky : La IV° Internationale et la guerre. 1934.

[6] Lénine : rapport de la commission nationale et coloniale, II° congrès de l'I.C. 26/7/1920.

[7] Animateur palestinien de campagnes pour le boycott d'Israel, invité à l'Université d'été 2009 du NPA.

[8] H. Minzceles, Histoire Générale du Bund.

[9] Voir S. Sand : Comment le peuple juif fut inventé. p. 153. On trouvera de nombreux autres exemples du caractère « laïc » de la direction sioniste.

[10] Z. Sternhell : Aux origines d'Israël.

[11] Z. Sternhell : op. cit.

[12] R. Schoenmann : L'Histoire cachée du sionisme.

[13] R. Schœnmann : op. cit.

[14] Le choix du vocabulaire est d'ailleurs à relever. Les militants pro-palestiniens en utilisent en général un autre (par exemple : démantèlement de l'État sioniste) afin d'éviter tout amalgame avec les anti-sémites (cf. les conférences sinistres organisées par le régime des mollahs à Téhéran). Pourquoi DR et LO n'en tiennent-ils pas compte ?

15] Là encore, on notera le recours au pathos d'origine identifiable : le thème de la « survie » du peuple juif (en admettant qu'un tel peuple existe) est mille fois rabâché par les feuilles sionistes.

A propos de l'existence (douteuse) d'un peuple juif, se référer à S. Sand : Comment le peuple juif fut inventé.

[16] Nouvel Observateur, 23.6.2008.

[17] Getulio Vargas (1883-1954) était président du Brésil depuis 1930, son Estado Novo avait des colorations fascistes.

[18] L. Trotsky : La lutte anti-impérialiste. 23 septembre 1938. On a vu plus haut que dès le Manifeste, Marx et Engels ne disaient pas autre chose.

[19] Marx : Adresse du Comité Central à la ligue des communistes. 1850.

[20] Conformément à ses habitudes, Force Ouvrière avait refusé toute prise de position. La conception de la « défense des intérêts matériels et humains » de la classe ouvrière ne va pas jusqu'au soutien des travailleurs palestiniens.... Par contre, ça n'a jamais empêché les dirigeants de cette centrale de frayer avec ceux de la Histadrouth.


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