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Lettre à une camarade du NPA

À propos d'une « votation »

Chère camarade,

Tu me demandes mon opinion sur la campagne menée actuellement par le « Comité national contre la privatisation de La Poste, pour un débat public et un référendum sur le service public postal ». C'est effectivement une question importante.

Pour apprécier correctement cette affaire, il me semble nécessaire de prendre la question dans sa totalité.

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On sait que depuis le début des années 80, les bourgeoisies d'Europe, chacune selon ses propres moyens, procèdent au « détricotage » des diverses concessions arrachées par les classes ouvrières du Continent depuis 1945. Dans ce processus, le cadre de l'Union Européenne leur sert à s'épauler mutuellement. Notamment, l'Acte Unique (promulgué en 1987), qui prévoit l'ouverture du service d'acheminement à la concurrence, fut un puissant encouragement à la privatisation des Services Publics.

Ceci pour dire que cette affaire est une nouvelle illustration de ce qu'est l'Union Européenne, de pourquoi il faut rompre avec elle. Mais évidemment un « Comité National » qui inclut le PS, le PCF, ou la CGT ne peut s'aventurer sur un tel terrain.

En tout cas, depuis 1987, on a assisté au sein des pays de l'UE à un mouvement de privatisation des divers PTT nationaux. En France, le tournant a eu lieu avec le vote de la loi Quilès (1990), séparant les activités postales et les telecoms en deux établissements distincts – ce qui permit ensuite de privatiser cette dernière activité. Paul Quilès était le ministre PS qui l'a promulguée dans le cadre d'un gouvernement qui comprenait aussi des membres du PCF (ces 2 partis sont des membres actifs du « Comité National »).

Dans un tel contexte, évidemment, le service public postal était en sursis. Ceci étant, privatiser la Poste était une autre affaire. Cela aurait inévitablement un impact réel dans les zones rurales. Et puis surtout, il y a près de 300 000 travailleurs à la Poste, dont une bonne moitié de fonctionnaires. Or cette corporation est historiquement un des bastions du mouvement ouvrier.... Bref, les choses ont traîné – à l'été 2008, Le Monde constatait amèrement qu'il ne restait plus en Europe de service public postal qu'au Luxembourg et en France... [1]

Mais sur cette question comme sur tant d'autres, l'élection de Sarkozy allait avoir un impact certain. La victoire de Sarkozy signifiait le triomphe de la ligne « dure » au sein de la bourgeoisie française, que l'heure était à « moderniser » au compte des possédants sans hésiter. En ce qui concerne la Poste, de plus, l'UE pressait le gouvernement UMP d'agir : l'ouverture du service public postal à la concurrence est prévue pour le 1° janvier 2011.

Avec les encouragements de Bruxelles, Sarkozy et Lagarde ont donc remis l'accélérateur sur cette question dès le début 2008. L'idée était (et demeure) de procéder à un changement de statut de l'établissement (passage en société de droit privé), permettant une ouverture de capital de l'ordre de 20% (dans un premier temps) [2]. Au bout du processus, il y aurait la constitution d'un trust privé du service d'acheminement « de taille européenne », à l'image de sociétés comme Deutsche Post ou Federal Express.

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Évidemment, les postiers, qui ont vu ce qui s'est passé dans les télécoms, ont conscience du danger. Le gouvernement devait donc avancer avec précautions s'il voulait éviter l'embrasement.

En tout cas, une première journée d'action « contre la privatisation » eut lieu à la Poste le 23 septembre 2008. Il n'y eut pas de raz de marée de grévistes - de 27 à 50% selon les sources. Mais ces chiffres indiquent clairement que de larges couches de postiers pouvaient entrer en action. Pour cela, il fallait que les directions des fédérations syndicales se disposent pour engager l'épreuve de force avec le gouvernement. Ce n'est pas ce qui eut lieu.

En face, pour endiguer le risque de généralisation du mouvement, le gouvernement annonça la mise en place d'une « commission » de dialogue social, la commission Ailleret « sur l'avenir de la Poste ». Personne ne se faisait et ne pouvait se faire d'illusions sur cette commission. Il s'agissait, par la méthode du « dialogue social », de rapprocher les points de vue – en d'autres termes de faire endosser la réforme par les directions syndicales.

Or le fait est que dès le lendemain de la grève du 23, les fédérations postales (CGT, SUD, FO...) allaient renoncer à donner la moindre perspective de combat réel. Par contre, toutes annoncèrent leur participation à cette commission, au nom de la « revendication » d'un « grand débat public » (avec Sarkozy et son UMP !) [3]. En bref, il s'agissait de ne surtout pas se situer sur le terrain du combat contre le gouvernement, mais bien du « dialogue social », de la collaboration avec ces requins ! Pourtant, tout postier sait bien qu'à cette étape, la seule chance de victoire résidait dans le fait d'interdire à cette commission de remettre ses travaux.

Dans ces conditions, comme on s'en doute, la mobilisation naissante retomba. On put le vérifier lors de la « journée de mobilisation » du samedi 22 novembre : la participation aux manifestations fut famélique.

La voie étant dégagée, la commission Ailleret put continuer son travail à peu près tranquillement. Certes, les directions syndicales de la Poste protestèrent lorsqu'on leur en demandait trop. Mais dans l'ensemble, la commission put réaliser sa tâche sans embuche majeure, et Fillon put disposer d'un rapport préconisant le changement de statut, c'est-à-dire la privatisation progressive de La Poste.

Enfin, ces préconisations servirent de socle à un projet de loi, validé au Conseil des Ministres le 29 juillet. Face à cette annonce, les directions syndicales appelèrent donc à une nouvelle journée d'action (le 22.09.2009), qui mobilisa moins qu'en 2008.

On en est désormais là.

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Parallèlement, les mêmes organisations qui s'étaient positionnées sur le terrain du dialogue avec Sarkozy complétèrent leur dispositif en ayant recours à l'électoralisme le plus plat.

L'idée « géniale » était de « revendiquer » un référendum d'initiative populaire. Ce qui nécessitait l'accord l'accord de 20% des membres du Parlement, de 4,5 millions d 'électeurs, et du président de la République. On est donc bien sur le terrain de la supplique à Sarkozy. C'est cette « revendication » qui se matérialise avec la « votation citoyenne » du 3 octobre.

Comment croire une seconde que Sarkozy puisse surseoir de lui-même à la privatisation, voilà bien qui dépasse l'entendement de tous – sauf d'un réformiste patenté ! Comment aller chanter de telles sornettes quand on vu à quoi a abouti le référendum sur la « Constitution Européenne » ? Comment ne pas parler à ce propos de crétinisme parlementaire ?

Au-delà, il y a diverses raisons de principe qui justifient qu'un marxiste s'oppose à une telle « action ». Ne revenons que sur une seule. L'objectif des révolutionnaires que nous sommes est de dresser les travailleurs CONTRE l'État capitaliste et non d'intégrer leur mouvement à la démocratie bourgeoise. Il ne peut, sur une telle question, y avoir de possibilité de s'exonérer d'une activité permettant à la classe ouvrière de s'exprimer sur son propre terrain, celui de la lutte de classes.

Au risque de passer pour un « doctrinaire », il n'est pas inutile de rappeler que ces positions sont en stricte conformité avec les acquis les plus élémentaires du marxisme. On pourra par exemple se référer à R. Luxemburg, qui n'eut cesse de combattre l'électoralisme. Commentant la grève générale belge de 1902, celle-ci écrivait :

« Il est clair que, cette fois encore, seule la pression des masses ouvrières sur le Parlement et sur le gouvernement a permis d'arracher un résultat palpable. (...) Il était évident que les discours bruyants à la Chambre ne pouvaient rien obtenir. Il fallait la pression maximum des masses pour vaincre la résistance maximum du gouvernement.
En face de cela, les hésitations des socialistes à proclamer la grève générale, l'espoir secret mais évident, ou tout au moins le désir de l'emporter, si possible, sans avoir recours à la grève générale, apparaissent dès l'abord comme le premier symptôme affligeant du reflet de la politique libérale sur nos camarades, de cette politique qui de tout temps, on le sait, a cru pouvoir ébranler les remparts de la réaction au son des trompettes de la grandiloquence parlementaire. »

C'est cette tradition politique là que défendent les camarades qui refusent de participer au référendum sur la Poste. C'est pourquoi je suis opposé par principes au référendum.

Un dernier point. Certains font une analogie entre ce référendum et la participation du NPA à des élections. Il y a pourtant une grande différence. Les révolutionnaires sont hostiles au système électoral de la démocratie capitaliste. Ils y participent néanmoins car c'est une arène du combat politique qui s'impose à eux.

Mais il va de soi que ce serait faire preuve d'une absence totale de principes socialistes que de revendiquer de nouveaux scrutins, c'est-à-dire de s'inscrire dans un cadre d'amélioration de la démocratie bourgeoise. Ce serait, au sens propre, du réformisme.

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Bien évidemment, tu pourras objecter que critiquer est une chose, encore faut-il proposer une orientation.

En fait, je pense que le NPA a raté le coche à partir du 29 juillet, lors du passage du projet de loi de privatisation en Conseil des Ministres. C'est à partir de ce moment et durant tout le mois de septembre que tout s'est joué.

En d'autres termes, je ne vois aucune échappatoire possible à faire en sorte que la classe ouvrière s'exprime sur son propre terrain (qui n'est pas celui du référendum).

Quel scoop !

Le 28 septembre 2009


Notes

[1] Le Monde, 25.VII.2008.

[2] Ibid.

[3] Communiqué intersyndical, disponible sur le site internet de SUD PTT.


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