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Les élections qui vont avoir lieu doivent être caractérisées. Sans entrer dans les détails, le bilan du président sortant est incontestablement l'un des meilleurs que n'aie pu enregistrer la bourgeoisie depuis 1945. Il suffit d'avoir en tête les contre-réformes dans l'Enseignement Supérieur, la RGPP, la réforme Fillon (retraites), etc. pour en prendre la mesure.
Le pire (pour nous) est que ce que se propose de faire Sarkozy est désormais de radicaliser encore plus sa politique – au point qu'il devient désormais difficile de distinguer le candidat UMP de celle du FN.
Dans ce contexte, et on ne peut que le partager, la première préoccupation de la masse des travailleurs consiste à se débarrasser de Sarkozy. C'est à partir de là que peuvent s'ordonner les questions.
Dans ce contexte, l'électorat populaire se prépare à largement voter au second tour pour le candidat socialiste, ou plutôt contre celui de l'UMP. Tout montre d'ailleurs qu'il ne s'agit pas d'un vote d'adhésion (« ce n'est pas un peu facile de ne rien promettre ? » lui demandent les jeunes de Bondy...). Comme nous, les masses ont conscience que les dirigeants socialistes se préparent à mener sans sourciller une politique d'austérité dite « de gauche », qu'ils ratifieront le TSCG, etc. Elles ont bien noté que le candidat socialiste en dit le moins possible, de peur d'avoir à se renier bientôt, que sa campagne est donc vide de contenu...
Et pourtant, pour éviter un nouveau quinquennat Sarkozy, faute de mieux, la masse de l'électorat populaire, rejetant toute politique du pire, votera Hollande (même si une portion non négligeable de celui-ci préférera peut-être s'abstenir). Certes ces électeurs savent que la défaite annoncée de l'UMP ne règlera pas tout, loin de là. Mais dans le cas concret de l'élection de 2012, le mieux qu'ils puissent faire est d'infliger une défaite politique (et non sociale) au parti traditionnel de la bourgeoisie française.
Il faut d'ailleurs relier ceci à l'émergence électorale du FdG. Ce qui est apparu là est l'émergence d'un courant qui se refuse à donner un blanc-seing aux socio-libéraux – quoiqu'on pense par ailleurs du programme de JL Mélenchon.
On sait que notre méthode traditionnelle, la tactique dite de Front Unique Ouvrier, s'appuie sur une caractérisation du Parti Socialiste comme d'un parti de type « ouvrier-bourgeois », selon la formule consacrée par Lénine.
En effet, il ne saurait être question pour nous de voter pour la moindre organisation extérieure au mouvement ouvrier. C'est là une affaire de principes politiques. A partir de là, on comprend l'enjeu pratique existant derrière la controverse relative à la nature du PS.
Notons d'ailleurs que ceux qui affirment que le PS est un parti bourgeois tout en appelant à voter pour lui, ceux qui nous expliquent que toute consigne de vote « se discute » font lourdement erreur. Tout se discute, mais dans le cadre de principes, et l'un de ceux-ci est justement la défense de l’indépendance du mouvement ouvrier. En clair, expliquer que le PS est d'une autre nature sociale que le PCF/FdG, qu'il a quitté le terrain du mouvement ouvrier, et appeler à voter pour ce parti, c'est faire preuve du plus parfait opportunisme.
En tout cas, pour faire court, historiquement, la social-démocratie était considérée comme un ensemble de partis menant une politique 100% pro-capitaliste, mais qui ne pouvait subsister qu'en relation avec sa place politique, le fait qu'elle situe son activité dans la tradition politique du réformisme. Il faut d'ailleurs rappeler que cette caractérisation était largement indépendante d'une appréciation de sa base sociale :
« Le parti socialiste n'est un parti ouvrier ni par sa politique, ni par sa composition sociale. C'est le parti des nouvelles classes moyennes, fonctionnaires, employés, etc., partiellement celui de la petite bourgeoisie et de l'aristocratie ouvrière. » [1]
Alors pourquoi voter pour un tel parti ? L'important de cette caractérisation est qu'elle aboutissait à considérer que ces liens historiques font que les PS sont extrêmement sensibles au mouvement des masses, en dépit de leur politique. Bref, que les dirigeants socialistes ne font pas ce qu'ils veulent, qu'il faut aller au-delà de leurs discours.
C'est cela qui justifiait l’attitude des trotskystes vis-à-vis de ces partis, par exemple l'appel à voter pour eux lorsqu'ils étaient absents d'un scrutin. Par contre ça ne signifiait en rien qu'ils considéraient que les dirigeants socialistes étaient « plus fréquentables » que ceux des partis traditionnels du Capital – de ce point de vue Hollande, Moscovici & co valent bien leurs homologues de l'UMP (mais c'était déjà le cas de Blum, Mollet, etc.).
Il est à ce propos certain que l'évolution de la social-démocratie, devenue social-libéralisme, durant les dernières décennies a été désastreuse. La bureaucratie social-démocrate n'a désormais même plus d'ambition de réformes – tout au plus se propose-t-elle de gérer « mieux » l’état capitaliste. Conséquemment, dans de nombreux pays comme le nôtre, les PS se sont vidés de la moindre trace de base ouvrière, se transformant chaque jour un peu plus en machine électorale bourgeoise. A ceci s'ajoute, dans le cas français, la signification et les conséquences de l'OPA d'un politicien bourgeois traditionnel, Mitterrand, sur la vieille SFIO.
De ces évolutions, certains en déduisent que le PS serait désormais devenu un parti bourgeois comme un autre. C'est aller vite en besogne.
Il suffit de voir la réaction de Hollande à quelques évènements récents pour mesurer que les dirigeants social-démocrates conservent des liens – certes de plus en plus distanciés – avec la gauche sociale et politique. On pourrait rappeler l'affaire des 60 000 postes dans l'Enseignement, la promesse d'abroger la TVA sociale, ou encore le « gauchissement » (très relatif) de son discours depuis qu'a émergé la candidature Mélenchon.
Certes ces promesses n'engagent que ceux qui les croient. Mais l'important est de comprendre pourquoi le candidat socialiste s'est cru obligé de les formuler... Tout simplement parce que contrairement à un Bayrou, il ne peut espérer gagner qu'en se situant dans une tradition politique précise, celle du réformisme (même si la référence se fait de plus en plus formelle).
Il est d'autant plus facile de voir que le PS demeure encore un parti de type social-démocrate que nous avons désormais l'exemple réel et non mythique de ce qu'est la destruction d'un PS, sa transformation en parti libéral. En Italie, en effet, à la suite d'une lente décomposition, le PDS (membre de l'Internationale Socialiste et « post-communiste ») a posé les valises et s'est transformé en une sorte de MODEM à l'italienne. Il suffit de comparer la place du Parti Democrate italien et celle de notre PS pour prendre la mesure de ce que ces organisations ne sont pas de même nature sociale et historique.
Tout ceci pour dire que tout parallèle entre la situation actuelle (probable 2° tour Hollande/Sarkozy) et celle de 2002 (« le vote Chirac ») est impossible.
De ce qui précède, on comprendra que la mise en œuvre d'une politique unitaire ne peut ignorer la question du PS et que c'est dans ce cadre que se pose la question du second tour de la présidentielle.
D'innombrables textes trotskystes justifient et défendent la tactique de Front Unique telle qu'elle fut élaborée dès la constitution du mouvement communiste. Ça évitera de s'étendre.
Rappelons simplement que le socle politique de cette tactique, c'est la nécessité pour la classe ouvrière de dépasser ses diverses divisions pour avancer.
D'où le fait que dès l'aube du mouvement ouvrier, Marx-Engels aient été obligés d'aborder la question :
« Quelle est la position des communistes par rapport à l'ensemble des prolétaires ?
Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.
Ils n'ont point d'intérêts qui les séparent de l'ensemble du prolétariat.
Ils n'établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.
Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points :
Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l'avantage d'une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien. » [2]
Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat.
Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.
Et Trotsky, à distance, précisait :
« Le passage du Manifeste du Parti communiste, où il est dit que les communistes ne s'opposeront pas au prolétariat, qu'ils n'ont pas d'autres objectifs et d'autres tâches que celles du prolétariat, exprime l'idée que la lutte du parti pour gagner la majorité de la classe ne doit, en aucun cas, entrer en contradiction avec le besoin que ressentent les ouvriers d'unir leurs rangs dans le combat. » [3]évidemment, cette remarque cruciale s'applique au terrain de la lutte de classes comme à l'activité électorale.
Luttes et élections
Il est certain que le terrain électoral n'est pas celui qui est le plus adapté au mouvement ouvrier. Encore qu'à l'expérience, on voit bien que les résultats électoraux ne sont pas sans rapport avec le terrain de la lutte de classes directe.
« Le 10 janvier 1874, nous avions obtenu 350 000 suffrages; le 10 janvier 1877, au moins 600 000. Les élections nous fournissent le moyen de nous compter; des bataillons qui passent en revue, le jour des élections, nous pouvons dire qu'ils constituent le corps de bataille du socialisme allemand. L'effet moral tant sur le parti socialiste qui constate avec joie ses progrès, que sur les ouvriers, qui sont encore indifférents, et voire sur nos ennemis est énorme. C'est une bonne chose de commettre tous les trois ans le péché mortel d'aller voter. » [4]L'« effet moral » dont il est question ici, c'est celui qu'on vit par exemple à l’œuvre dans d'innombrables révolutions du XX° siècle, Ainsi, le résultat des élections de 1936, en France comme en Espagne, s'avéra un accélérateur décisif de la marche à la révolution que connurent alors ces deux pays.
Pour cette raison, les déclarations du type « le calendrier électoral n'efface pas celui de la lutte de classes » me semblent surtout contre-productives. L'essentiel n'est pas de « relativiser » l'importance des élections mais au contraire de démontrer quelle pourrait être l'utilité du vote NPA. Ce n'est évidemment pas la même chose...
Quelle méthode ?
La crise du NPA, la pression qu'y font régner les partisans de Mélenchon, étant ce qu'elles sont, tout débat politique de fond est quasiment impossible au CPN. Dans ce contexte, il a donc adopté une résolution qui affirme :
« Notre priorité est de populariser le plus largement possible l'ensemble de ces positions. C'est pourquoi nous ne donnerons une consigne de vote qu'au soir du premier tour, à la lumière de la situation. Celle-ci s'inscrira dans la continuité de notre campagne. »
Certes, cette phrase signifie que le NPA ne sera pas neutre face à un duel Hollande-Sarkozy. Mais enfin, la chose sérieuse, c'est de faire de la propagande communiste.
Visiblement, la thèse de la priorité à la défense du programme fait écho à ce qu'on peut lire à longueur de colonnes dans Lutte Ouvrière. Exemple :
« Au deuxième tour où ne resteront en lice que deux candidats, tous deux estampillés par la bourgeoisie, l'électeur qui se méfie des deux ne peut plus voter selon ses convictions. C'est au premier tour que l'on peut exprimer toute son opposition non seulement à l'égard des deux rivaux, mais aussi son hostilité à l'égard des donneurs d'ordres. (...) » [5]Avec de tels arguments, on se demande bien ce qui pourrait justifier autre chose qu'un appel au boycott du 2 tour... Car à partir du moment où on évacue la nature des forces socio-politiques qui sont derrière chacun des candidats, ils deviennent effectivement indiscernables.
Et puis il faut revenir sur cette affaire de priorité donnée à l'activité de défense du programme. Cette méthode est très exactement celle que Trotsky dénonçait lorsqu'il recommandait de ne pas opposer la propagande communiste à l'agitation pour l'unité. Donner la priorité à la propagande programmatique (aussi nécessaire soit-elle) sur l'agitation unitaire est au sens propre une méthode sectaire :
« La secte cherche sa raison d'être et son point d'honneur, non pas dans ce qu'il y a de commun au sein du mouvement ouvrier, mais dans sa recette particulière qui l'en distingue. » [6]On comprendra donc que l'axiome consistant à décréter que la propagande anticapitaliste a la priorité sur l'agitation politique (« Chasser Sarkozy ! ») ne saurait être accepté. Tout au contraire, tout l'art de l'élaboration d'une politique adaptée nécessite de combiner les deux facteurs et non de les opposer.
Partant de là on comprendra qu'il était non seulement acceptable, mais nécessaire que notre candidat ne laisse aucune ambiguïté quant à notre attitude au second tour et il n'existe aucune raison d'attendre le soir du premier pour s'exprimer sur le sujet. Et ça n'affaiblit en rien notre activité de propagande, contrairement à ce qui a été expliqué.
Par contre, il est indispensable que les attendus de cette prise de position ne laisse aucune ambiguïté quant au fait que cet appel ne rend en rien Hollande politiquement fréquentable. Mais cela, il me semble que la résolution le fait plutôt bien.
[1] Trotsky : L'étape décisive.
[2] Marx-Engels : Manifeste.
[3] Trotsky : La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne.
[4] Engels : La plèbe, 26.II.1877.
[5] LO, 9.III.2012.
[6] Marx : lettre, 13.X.1868.
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