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À propos d'un meeting :

Contre TOUS les racismes

"Il est nécessaire de lutter contre les mouvements panislamiques et pan-asiatiques,et autres tendances similaires, qui essaient de combiner la lutte de libération contre l’impérialisme européen et américain avec le renforcement du pouvoir de l’impérialisme turc et japonais ainsi que des potentats locaux, grands propriétaires, hauts dignitaires religieux, etc" - Internationale Communiste, 1920.

C'est peu de le dire : les tueries parisiennes de début janvier ont littéralement percuté le NPA. La complaisance vis-à-vis de l'islamisme, de bon ton au sein du parti, l'a placé en porte-à-faux. Le drame est que tout ceci n'a toujours pas incité sa direction à revenir à une orientation plus en ligne avec les traditions anti-religieuses du mouvement ouvrier.

D'où ce texte.

A propos des tueries : parler clair

Le 7 janvier, deux tueurs islamistes pénétraient en effet dans les locaux de Charlie-Hebdo et y perpétraient un véritable massacre : 12 morts. Parallèlement, un troisième tueur débutait son œuvre de mort : 5 victimes de plus.

Immédiatement le dégoût que ne pouvait manquer de susciter une telle boucherie débouchait sur des manifestations monstres. Il faut le dire : ce qui s'exprimait dans ces manifestations était profondément sain – notamment la défense des libertés fondamentales (de presse...), de la laïcité, du droit des femmes, le rejet de l'antisémitisme, etc.

Le drame est que ces aspirations ont pu être captées dans une opération d'Union Nationale et abouti à une manifestation derrière Hollande, Netanyahou, Orban, etc. Tout ceci ne peut être compris qu'en ayant à l'esprit le désarmement politique du prolétariat français.

Mais encore une fois : le refus de l'alignement derrière de tels personnages ne peut ni ne doit nous faire oublier qu'à la base de tout ceci il y a les menées de courants islamistes, ultra-réactionnaires, et dont les marxistes doivent se délimiter méticuleusement.

Être ou ne pas être « Charlie » ?

Malheureusement, on a vu apparaitre très vite un argument particulièrement préoccupant : Charlie, par ses provocations anti-religieuses, n'aurait qu'attisé la haine. Ainsi l'UJFP écrit :

« Avoir la moindre complaisance ou compréhension pour des assassins de dessinateurs ou pour la mise à mort de gens en raison de leurs idées est insensé.
Mais Charlie Hebdo a mené une bataille politique. Et occulter et faire oublier dans quel contexte il publiait ses caricatures faisait partie de sa bataille politique.
Peut-on imaginer des caricatures émanant de journaux progressistes critiquant la religion juive pendant les années trente au moment de la montée de l’antisémitisme et de la persécution des juifs ? (...)
Comment la critique des religions pourrait-elle faire abstraction du rapport dominant/dominé ? Critiquer les religions cela se fait aussi dans un contexte, dans un moment politique qui n’est aucunement neutre à l’égard des musulmans. »[1]

Ce que valent ce arguments on peut le mesurer en lisant Le Monde du 24.II. On sait que Charlie Hebdo était surtout connu pour ses couvertures. Or, de 2005 à 2015, il y en eut 7 consacrées à l'Islam, contre 10 au fait religieux en général et 21 aux religions chrétiennes. Charlie était hostile aux bigots, à tous les cléricaux – pas seulement aux immams (et ça n'enlève rien aux immenses ambiguïtés de ce journal).

Alors où est la bataille politique dénoncée par l'UJFP ? Comment comprendre la déclaration ci-dessus autrement que comme une « relativisation » de la nocivité de la réaction islamiste ? En fait, Charlie « bouffait du curé », quelle que soit leur obédience.

En ce qui nous concerne, nous ne pouvons que nous incliner face au courage de gens qui sont morts en défense d'une valeur essentielle, la liberté de la Presse.

« Islamophobie » ?

Une part considérable des militants du NPA ne voit dans « la lutte contre l'islamophobie » qu'une forme d'anti-racisme. Ils se trompent, mais c'est le prix à payer pour le refus d'éduquer les militants selon les traditions anti-religieuses du mouvement ouvrier.

Rappelons donc que ce « concept » d'islamophobie s'est imposé récemment, jusqu'à occulter celui « d'anti-racisme ». Or les deux notions ne se recoupent pas.

L'islamophobie, c'est la répulsion pour la religion islamique, quelles qu'en soient les raisons. Or il y a de bonnes et de mauvaises raisons pour ce rejet. Le concept est donc ambigu.

Si l'islamophobie est devenue incontestablement le drapeau des réactionnaires de tous poils : sionistes à la Finkelkraut, Le Pen, l'UMP, etc., il n'en demeure pas moins que les traits moyenâgeux de cette religion (comme des autres) sont incontestables. On est en droit d'être hostile à ce culte sans être pour autant raciste.

Le combat contre « l'islamophobie » n'est pas le nôtre, et ce n'est pas un mince succès des islamistes que d'avoir pu déplacer le débat sur le terrain religieux.

Notre combat est contre le racisme, contre tous les racismes. Ce n'est pas la même chose.

Combattre le racisme sans s'aligner sur les cléricaux

Ceci étant, il ne s'agit en rien de « relativiser » l'explosion actuelle d'actes anti-musulmans. Elle est incontestable, et doit être combattue avec la dernière énergie.

Au-delà, c'est un fait que ce culte a toujours été traité de façon scandaleuse, ce qui ne peut qu'aviver la conscience des inégalités. Ainsi, le statut concordataire, encore en vigueur en Alsace-Lorraine prévoit de financer les rabbins ou les curés sur fonds publics. Pas les immams... De même la séparation de l’Église et de l’État n'a jamais été appliquée en Algérie-Tunisie-Maroc.

Tout ceci nourrit la frustration des populations immigrées, leur méfiance vis-à-vis des acquis laïcs des travailleurs français. Il faut en tenir compte, comprendre d'où vient ce scepticisme face à nos acquis laïcs.

Mais ceci ne justifie en rien de défendre en tant que telle une religion quelconque. Se focaliser sur la question religieuse, au-delà d'un alignement sur des théories, des pratiques réactionnaires, c'est en rester à la surface des choses.

Le Pen ou Ciotti se moquent bien de l'Islam. Ce n'est qu'un alibi pour mener une campagne raciste et c'est sur ce terrain, de classe, que doit se situer le NPA !

III° congrès du NPA

C'est dans ces conditions que s'est donc tenu le III° Congrès du NPA.

À l'évidence, le parti était désarçonné par ce massacre, significatif de la barbarie de l'islamisme, du rejet massif dont il est l'objet dans notre camp social. Le moins qu'on puisse dire, en effet, est que le combat contre l'obscurantisme religieux n'a jamais été une priorité dans une organisation où on peut se permettre de brocarder les « laïcards » (l'auteur de ces lignes est fier de se compter parmi eux), où l'opportunisme vis-à-vis des fondamentalistes est considéré comme légitime.

C'est dans ce contexte que fut donc votée au congrès une motion précisant que le parti se fixait pour but

« (...) de développer une campagne pour lutter contre l’union nationale, l’islamophobie, l’offensive sécuritaire-autoritaire et la poursuite des expéditions impérialistes).
L’antiracisme est donc au cœur d’une telle campagne, qui doit être articulée avec une dénonciation sans ambiguïté de tous les racismes, et un combat contre les courants qui les portent, y compris et notamment l’antisémitisme »

Cette motion était un compromis ; elle était donc nécessairement ambiguë. Il fallait pourtant la voter car elle se situait sur le terrain du combat contre tous les racismes et non sur celui d'un soutien (à peine) voilé à une religion quelconque.

Cette résolution a pourtant été l'objet d'un hold-up politique. En pratique, dès le lendemain du congrès, le NPA s'est engagé dans une campagne « contre l'islamophobie », ce qui n'était ni l'esprit ni la lettre du vote du congrès.

Antisémitisme...

La résolution du congrès n'évoquait pas par hasard la question de l'antisémitisme. On assiste en effet à une montée incontestable de ce « socialisme des imbéciles » (Engels). Selon Le Monde

« 527 actes (actions ou menaces) antisémites ont été enregistrés entre le I° janvier et le 31 juillet 2014, contre 276 sur les sept premiers mois de 2013, soit une augmentation de 91 % » [2]

Ce phénomène récent, avec les crimes qui l'ont accompagné (affaire Merah, Créteil, etc.), est inséparable de la montée de l'Islam politique dans ce pays – on estime qu'un millier ou plus de volontaires français sont partis en Syrie...

Que les sionistes utilisent tout ceci pour leurs propres besoins est incontestable. C'est justement aussi pour cela qu'il est nécessaire de se distancier avec une fermeté totale de ceux qui composent avec cet autre racisme, voire l'attisent.

Or une petite musique a commencé à revenir dans les milieux « islamo-gauchistes » dont le NPA est si proche. « L'islamophobie » serait un racisme d’État, à l'inverse de l'antisémitisme. Selon A. Gresh :

« La lutte contre le racisme est indivisible, mais (tout est dans ce « mais » - NR) il est nécessaire de rappeler qui sont aujourd’hui, en Europe, les premières victimes de ce racisme : les musulmans, les Roms et les Noirs. Alors que plus aucun grand parti ne défend officiellement l’antisémitisme (...) »

Il est significatif de cette obsession religieuse que parmi les victimes du racisme, il voie les musulmans et non les maghrébins...

En tout cas quiconque lit ceci en conclura que pour Gresh, le combat contre l'antisémitisme n'est pas aussi crucial que celui à mener contre « l'islamophobie ». Et il se trouve que ce type d'arguments sont repris au sein du NPA.

Rétablissons donc les faits. Certes aucun parti parlementaire n'est aujourd'hui ouvertement antisémite. Mais comment ignorer le racisme à peine voilé des différents groupes islamistes, en plein développement ? L'antisémitisme compulsif des tueurs de janvier venait bien de quelque part ! C'est un euphémisme que de dire que ce type de théories sont extrêmement dangereuses.

Fascisme, islamisme

Dans un texte récent, G. Achcar affirme :

« Beaucoup au sein de la gauche française (...) ont qualifié les attentats de Paris et ceux qui les ont commis de « fascistes ».
C’est complètement dénué de sens du point de vue sociopolitique dans la mesure où le fascisme est un mouvement de masse ultranationaliste dont la vocation principale est de sauver le capitalisme en écrasant ce qui le menace, à commencer par le mouvement ouvrier, ainsi que de promouvoir un impérialisme agressif. Appliquer cette catégorie à des courants terroristes inspirés par l’intégrisme religieux dans des pays dominés par l’impérialisme est absurde » [3].

Achcar se trompe. Certes, identifier fascisme et islamisme est scientifiquement faux. Mais est-ce décisif ? Nous ne le pensons pas. Car fascisme et islamisme ont en commun la même hostilité à l'égard du mouvement ouvrier, leur volonté de l'écraser. L'essentiel est là.

C'est d'ailleurs ce qui explique notre accord avec ce même Achcar lorsqu'il écrivait il y a 10 ans :

« (...) l’intégrisme islamique est un véritable danger pour le progrès social et les luttes émancipatrices. (...) il est indispensable de combattre l’intégrisme islamique idéologiquement et politiquement, tant dans les pays d’Islam qu’au sein des minorités musulmanes en Occident ou ailleurs ». [4]

Dans les deux cas, celui du fascisme comme de l'islamisme, il revient au mouvement ouvrier de mettre en œuvre une tactique de protection, ce qui passe par la délimitation méticuleuse d'avec ces courants moyenâgeux.

C'est ce qui justifie une tactique assez proche de celle employée contre les bandes fascistes, notamment le refus de toute alliance, fut-elle ponctuelle, avec ce type de courants.

Le meeting du 6 mars et le NPA

Un meeting est donc organisé le 6 mars « contre l'islamophobie ». Le texte de l'appel ne fut pas signé par le NPA au final, malgré le soutien de la commission antiraciste. Mais le moins qu'on puisse dire est que cette non-signature était bien peu belliqueuse : ça n'empêcha en effet pas le NPA d 'annoncer sa participation au meeting en question...

En tout cas, le texte de cet appel, la ligne sur laquelle fut convoqué le meeting, mérite qu'on s'y arrête :

« Notre solidarité avec les victimes de l'attentat sanglant contre la rédaction de Charlie Hebdo, avec celles de l'attentat antisémite contre l'Hyper Cacher et avec la policière antillaise abattue Porte de Montrouge doit s’étendre à toutes celles et tous ceux qui sont aujourd’hui pris comme boucs émissaires et qui ressentent au quotidien, notamment dans les quartiers populaires, les effets d’une haine instillée depuis de nombreuses années.
(...)
Les musulmanes et musulmans, qui se défendent avec le vocabulaire du droit et de l'égalité, défendent de ce fait les droits de toutes et tous.
Nous appelons à un meeting de témoignage et de défense des libertés.
Contre l'islamophobie, pour les droits civiques
Contre la dérive sécuritaire, pour les libertés publiques »

La commission antiraciste du NPA se trompe lorsqu'elle décrit ce texte comme

« un texte qui parle de lutte contre le racisme »

Or de racisme, il n'en est guère question dans ce texte. Ce dont il est question, c'est de construire un meeting « contre l'islamophobie » - ce qui n'est pas pareil qu'en organiser un « contre tous les racismes » comme le préconisait le congrès du NPA.

A ce propos, la commission réagit aussi à l'émoi mille fois légitime que provoque notre collaboration avec des groupes religieux comme « nos amis de PSM » ou l'UOIF (vitrine des frères musulmans) en affirmant qu'

« il était bien évidemment hors de question d'organiser une initiative contre l'islamophobie... sans les musulman(e)s ».

Logique imparable. Lorsqu'on tient meeting sur « l'islamophobie », on collabore avec des cléricaux. Lorsqu'on organise des meetings contre le racisme, on le fait avec des anti-racistes...

Mais les problèmes posés par ce texte ne s'arrêtent pas là.

Au final, il faut dire que procéder ainsi, c'est aussi semer la division. Au lieu de travailler à construire un réel mouvement de masse, de tous les anti-racistes, on aboutit à un « mouvement » ultra-minoritaire, car étroitement aligné sur les positions de courants religieux, massivement rejetés par les travailleurs.

Redresser la barre

Répétons-le : l'obsession religieuse n'est pas bonne conseillère pour un anticapitaliste. Ce terrain n'est pas le nôtre.

Notre terrain c'est celui de l'unité des exploités – quelles que soient leurs opinions ou croyances - contre le gouvernement, le patronat et les politiciens à leur service. Notre terrain, celui « du meilleur du mouvement ouvrier », implique nécessairement de refuser toute banalisation du fait religieux , de rappeler son caractère aliénant, ainsi que ce fut établi par les fondateurs du mouvement ouvrier.

La situation politique actuelle rend nos marges de manœuvres très faibles, inutile de le nier. Il n'en demeure pas moins que la façon dont la question est appréhendée par la majorité de la commission anti-raciste et du CE ne peut nous mener qu'à la marginalisation.

Plus que jamais,

« celui qui ne combat pas la religion est indigne de porter le nom de révolutionnaire » [5].

[1] UJFP, déclaration du 9.I.2015.

2] Le Monde, 12.IX.2014. Ces chiffres proviennent d'une officine sioniste et sont donc sujets à caution. Mais la tendance n'est pas contestable.

[3] G. Achcar : Replacer la tuerie du 7 janvier dans son contexte national et international.

[4] G. Achcar : Marxisme et religions.

[5] L. Trotsky : Défense du marxisme.


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