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Une réponse à Michel Warchawski

Mon cher Warchawski

Divers sites islamo-gauchistes ayant relayé ton article « la France sent mauvais », je suis tombé dessus, et ...ça m'interpelle.

Dans ton texte, tu affirmes avoir « développé une véritable allergie aux laïcards français ». Comme j'en suis un, de la nature la plus pénible qui soit (celle des trotskystes), permets-moi donc de te répondre.


Ton article a été motivé par une intervention d'E. Badinter, une philosophe laïcarde. Je n'ai guère de sympathie pour Mme Badinter – n'a-t-elle pas appelé à défiler derrière de grands laïcs comme Valls ou Netanyahou le 11 janvier 2015 ? Mais ce n'est pas cela que tu reproches à E. Badinter. Ce que tu lui reproches, c'est de ne pas se laisser intimider par la peur de se faire traiter de raciste :

« Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe... à partir du moment où les gens auront compris que c’est une arme contre la laïcité, peut-être qu’ils pourront laisser leurs peurs de côté pour dire les choses. »

Et tu t'indignes :

« une personnalité publique et influente vient proclamer sur les ondes d’une radio nationale qu’il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, dans une période où les actes islamophobes ont augmenté de plus de 200 % ? Si l’on appliquait l’égalité des lois à tous les citoyens, Madame Badinter serait poursuivie en justice pour avoir tenu de tels propos ».

Toujours le même truc : identifier racisme et rejet de la religion musulmane, pour faire passer en loucedé la complaisance envers celle-ci, malgré ses traits rétrogrades, voire barbares. Car ce ne sont pas les actes islamophobes qui ont augmenté, ce sont les actes racistes.

Nuance d'autant plus décisive que les réactionnaires islamistes ne sont pas pour rien dans cette augmentation. Islamistes et fachos se partagent bien le travail depuis janvier 2015... Dit autrement : sous couvert d'antiracisme, tu nous vends une camelote pro-religieuse.


Il fallait s'en douter : tu nous ressers la vieille équation laïcité = truc de réacs. C'est facile : Valls ne rechigne-t-il pas à prendre la pose, et à jouer au « laïc » aux repas du CRIF, chez les rabbins ? Tu pourrais aussi utiliser une citation de Le Pen, il y en a.

Sauf que... c'est simplissime de démontrer l'arnaque, de montrer que tous ces gens ne font que dénaturer la laïcité. Eux travestissent effectivement le combat laïque pour stigmatiser les msulmans.

S'il était vraiment pro-laïcité, et pas seulement pro-business, Valls s'en serait pris depuis longtemps aux diverses lois anti-laïques, par ex. la loi Carle (promulguée sous Sarkozy). Quant à Le Pen, il suffit de rappeler qu'elle défend le Concordat en Alsace-Moselle, c'est-à-dire le financement public des religions juives et chrétiennes (mais pas l'Islam).

Non, décidément : ni Valls ni Le Pen n'ont rien à voir avec la laïcité, bien au contraire ! Et c'est leur rendre un fier service que de laisser croire qu'ils appartiennent au camp « laïc ».


Plus fondamentalement, ce qui nous sépare, c'est : au-delà du respect indispensable de la liberté de conscience, quel rapport aux religions, à toutes les religions ? Neutralité ou hostilité ?

Pierre Khalfa peut difficilement être traité de « laïcard ». Mais tout homme de gauche le suivra lorsqu'il écrit que

« Les idées portées par l’intégrisme religieux, quel qu’il soit, sont effectivement contraires à toute perspective d’émancipation, plus particulièrement encore celle des femmes, et à l’existence même d’une société démocratique ».

Toi, au contraire, tu tiens à nous informer que tu ne partages pas la haine des religions, de toutes les religions, qui anime Siné et ses potes... On reste pantois de lire de telles choses sous la plume de quelqu'un qui a du subir le régime des rabbins pendant des années, qui a pu voir le Hamas sévir dans les territoires !


A partir de là, on comprendra aisément que les laïcards de mon espèce te filent des boutons :

« J’ai cependant développé une véritable allergie aux laïcards français. Je spécifie « français » parce que c’est une maladie typiquement hexagonale et je ne pense pas qu’en Grande-Bretagne, par exemple, il y ait moins d’athées ou d’agnostiques qu’en France, mais ils sont, pour la plupart, exempts de cette haine du religieux ».

Eh oui ! Le mouvement laïque a une spécificité française pour la simple et bonne raison que dans ce pays, la puissance de l’église était sans commune mesure avec ce qui avait cours en Grande-Bretagne. Le caractère anti-religieux des mouvements révolutionnaires français du XIX° siècle est donc bien plus affirmé. Ici, on a appris à se méfier des porteurs de soutanes. C'est une tradition politique de la gauche française.

Au passage, tu as ces mots stupéfiants :

« (...) quand cette laïcité prend les accents de Madame Badinter, c’est de racisme qu’il s’agit (...) ».

Là, on est dans la franche calomnie.


Évidemment, tu nous fais aussi le coup de la défense de la liberté individuelle, avec une définition de la laïcité de ton cru :

« La laïcité est faite de la séparation totale de l’état et des religions et du droit de chacun de vivre ses croyances, philosophiques ou religieuses, comme il/elle l’entend ».

Avec une telle définition, on peut être laïcard et favorable au port de signes religieux dans les établissements scolaires, genre Bianco-Baubérot - fromage et dessert. En fait, la définition correcte est celle-ci :

« La laïcité ne consiste pas à combattre les religions, mais à empêcher leur influence dans l’exercice du pouvoir politique et administratif, et à renvoyer parallèlement les idées spirituelles et philosophiques au domaine exclusif de la conscience individuelle et à la liberté d'opinion ».

Et c'est sur le terrain scolaire que s'est plus d'une fois cristallisé l'affrontement. D'où notre refus de tout signe religieux, de tout bourrage de crâne dans les cours d'école. Et contrairement à ce que disent divers ignorants, ça ne date pas de 2004, mais de... 1937 (circulaire Jean Zay qui visait les ligues d'extrême-droite liées aux curés), du Front Populaire.

Comme l'écrit si bien la camarade V. Decker :

« la loi qui interdit aux enfants d'être le porte drapeau des opinions et des croyances de leurs parents est une bonne loi, qui protège l'enfance. Il faut l'étendre, et venir à bout du statut d'Alsace Moselle, ré-interdire les processions et la participation d'enfants à des promenades de morceaux de cadavres, et arrêter les subventions délirantes aux écoles privées par le biais de fondations et autres niches dont les dons exonèrent les donateurs de leurs impôts ».

Voilà pourquoi nous demeurons contre l'entrée de signes religieux quelconques dans les établissements scolaires, même si vous nous traitez de racistes !


Il faut conclure. Chacun peut désormais juger de ce que vaut ton texte. Nous sommes dans une triste période, où il est nécessaire de résister à toutes formes d'obscurantisme – l'Islam politique n'étant pas le moins dangereux. C'est d'ailleurs la méthode fort juste que défend le contradicteur à qui tu réponds :

« Certes, combattre l’obscurantisme religieux est on ne peut plus délicat quand on est sans cesse parasité par des nuisibles qui en profitent pour y insérer du racisme, mais fait chier quand même »

Sur ce coup-là, pour combattre l'obscurantisme, on ne pourra pas compter sur toi. Dommage !


Annexe : les articles de M. Warschawski

La France sent mauvais

Récemment, le Premier ministre Manuel Valls a fortement critiqué le président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco. Bianco est un homme intègre, et loin d’être un gauchiste. Après les attentats du 13 novembre, il avait signé une pétition titrée « Nous sommes unis », publiée dans Libération. Parmi les signataires, le grand rabbin de France Haïm Korsia. Valls ne critique pas le contenu de l’appel mais la présence parmi les signataires de militants musulmans d’obédiences diverses : s’ils ne dérangent pas le grand rabbin de France, ils sont infréquentables pour le Premier ministre.

Quand il y a un incendie, que les gens s’unissent pour l’éteindre, doit-on les punir pour cela ? Doit-on refuser qu’une partie de ceux-là aient le droit de l’éteindre alors que le pyromane les visait ? Pourquoi Valls s’en prend-il aux pompiers et à toutes les bonnes volontés ?

Cette position s’inscrit dans une terrible régression islamophobe que connaît la France depuis l’affaire du voile, mais encore plus depuis l’attaque contre Charlie Hebdo. Pour preuve, si nécessaire, cette déclaration d’Elizabeth Badinter sur les ondes de France Inter (6 janvier 2016) dont, comme on dit dans ma tradition, la vieillesse fait honte à sa jeunesse :

« Il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe... à partir du moment où les gens auront compris que c’est une arme contre la laïcité, peut-être qu’ils pourront laisser leurs peurs de côté pour dire les choses. »

Comment qualifier ce à quoi nous assistons : une personnalité publique et influente vient proclamer sur les ondes d’une radio nationale qu’il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, dans une période où les actes islamophobes ont augmenté de plus de 200 % ? Si l’on appliquait l’égalité des lois à tous les citoyens, Madame Badinter serait poursuivie en justice pour avoir tenu de tels propos.

C’est lors d’une rencontre des Amis du Crif que le Premier ministre s’en est pris à Jean-Louis Bianco pour défendre Madame Badinter et pour dénoncer la signature commune avec des organisations musulmanes :

« On ne peut pas signer des appels, a déclaré le Premier ministre sous les applaudissements des membres du Crif, y compris pour condamner le terrorisme, avec des organisations que je considère comme participant du climat que l’on a évoqué tout à l’heure. »

Valls crée un nouveau concept politique, le climat et, partant de ce concept, déclare que tout « climatologue » doit être ostracisé, avant d’être – qui sait ? – déchu de sa nationalité et, comme apatride, envoyé a Drancy.

Politique fiction ? Procès d’intention ? En aucun cas : il suffit pour se faire une idée de la conception de la démocratie qu’a Manuel Valls d’écouter ses propos sur les appels au BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) en France :

« Les pouvoirs publics doivent changer d’attitude [vis-à-vis des actions BDS, NDLR]. On voit très bien comment on est passé de la critique d’Israël à l’antisionisme, et de l’antisionisme à l’antisémitisme. »

Et alors que le président du Crif, Roger Cukierman, exigeait l’interdiction de manifestations qui appellent au BDS, Valls, loin de lui faire une petite leçon de démocratie et du républicanisme dont il se réclame en permanence, lui répond : « Ce que je peux vous dire, c’est que j’en parlerai, et j’en ai déjà parlé avec le ministre de l’Intérieur. Je pense que les pouvoirs publics doivent changer d’attitude vis-à-vis de ce type de manifestations. Il me semble qu’il s’agit de quelque chose qui participe d’un climat (encore une fois le « climat ») nauséabond, donc je suis plus qu’attentif. Je pense que nous allons prendre des dispositions [...] qui doivent montrer que ça suffit, et qu’on ne peut pas tout se permettre dans notre pays. »

Quelles dispositions ? Déchéance de nationalité ? Camps d’internement ? La France est – et pour longtemps encore, promet le Premier ministre – dans l’état d’urgence. Tout est donc possible. S’il y a un climat nauséabond en France, c’est dans des propos tels que ceux de Manuel Valls qu’on doit chercher la source. Ou encore dans la distinction que fait Christian Estrosi (au Grand Rendez-vous d’Europe 1) entre la kippa et le voile, la première étant encouragée par le président de la région Paca, le second dénigré.

Aux Juifs de France qui se sentent protégés par des politiciens comme Estrosi, je ferais une double mise en garde : d’abord, si la République interdit ou stigmatise aujourd’hui un signe religieux d’une minorité, non catholique, elle permet de faire de même demain avec une autre religion ; Vichy n’est pas si loin pour que les Juifs de France soient si certains d’être immunisés contre un racisme d’état : si on s’en prend aujourd’hui au voile, après-demain, ce sera à la kippa qu’arborent avec démagogie les Estrosi de droite et de gauche.

Ensuite, une telle discrimination entre deux communautés, l’une étant valorisée et l’autre dénigrée, ne peut pas ne pas provoquer des réactions anti-juives au sein de la communauté dénigrée. Répétons-le inlassablement : la seule protection des Juifs de France, c’est le combat commun contre le racisme, dans toutes ses expressions. Flirter avec le racisme antimusulman n’est pas seulement immoral, c’est suicidaire.


Religions : je persiste et signe

Même si j’ai porté la kippa pendant les vingt premières années de ma vie et pratiqué tous les commandements de la Tora, y compris les plus futiles, je suis aujourd’hui un athée qui mange à Kippour et adore la côte de porc. à la synagogue, je n’y vais que pour des fêtes de famille et mon enterrement se fera hors des rites et des cimetières juifs.

J’ai cependant développé une véritable allergie aux laïcards français. Je spécifie « français » parce que c’est une maladie typiquement hexagonale et je ne pense pas qu’en Grande-Bretagne, par exemple, il y ait moins d’athées ou d’agnostiques qu’en France, mais ils sont, pour la plupart, exempts de cette haine du religieux.

Eh oui, même si je collabore à Siné Mensuel et aime beaucoup Bob, je suis loin de partager leur haine des religieux. Pourquoi cette clarification ? Parce que Catherine m’a fait suivre un courrier me concernant où on pouvait lire :

« C’est quoi cet article de Warschawski ? Certes, Valls est à vomir, mais est-ce une raison pour défendre les religions dans Siné ?!  La France sent mauvais. Difficile de contredire un tel titre. Cela dit, dans quel autre pays un canard comme Siné Mensuel pourrait exister ? Si on élimine tous les pays où la religion est au pouvoir totalement ou partiellement, ça fait pas lerche. Quant à considérer le voile comme un simple signe religieux, alors là, je m’étrangle au point que j’aurai sans doute du mal à acheter le prochain numéro le mois prochain. Certes, combattre l’obscurantisme religieux est on ne peut plus délicat quand on est sans cesse parasité par des nuisibles qui en profitent pour y insérer du racisme, mais fait chier quand même ».

Je ne sais pas ce que signifie « défendre les religions ». Je sais par contre ce que signifie la liberté, et le droit de chacun de vivre sa vie comme il/elle l’entend, tant que cela ne porte pas préjudice à l’autre. Préjudice n’inclut évidemment pas « ce qui me dérange » : si, comme je l’ai dit, j’aime la côte de porc, je n’aime pas par contre la cuisine indienne et l’odeur des plats au curry m’importune. Pourtant, je n’ai jamais envisagé qu’on ferme pour cette raison les restos indiens.

Le port de la kippa ou du fez, du foulard ou de la perruque est une histoire de choix individuel... qui, comme tous les choix ou les goûts, est formaté par la culture ambiante, l’école, la famille, voire l’église.

Quand, en plus, une communauté est stigmatisée, le port de ses signes distinctifs est souvent un acte d’affirmation de soi et de mise en défi du racisme ambiant. Si l’on interdisait la kippa en France, je crois bien que je défierais la loi et mangerais ma côte de porc avec une kippa sur la tête.

La laïcité est faite de la séparation totale de l’état et des religions et du droit de chacun de vivre ses croyances, philosophiques ou religieuses, comme il/elle l’entend. La France a été à l’avant-garde de la bataille historique pour cette laïcité, et ses valeurs ont rayonné à travers le monde. Mais quand cette laïcité prend les accents de Madame Badinter, c’est de racisme qu’il s’agit, dans la droite ligne du « rôle civilisateur du colonialisme ». Car – mais faut-il le rappeler ? – la France laïque et républicaine a tenté d’imposer sa civilisation aux peuples sauvages, au prix de millions de morts. Aujourd’hui, elle n’a aucun problème à faire des affaires juteuses avec l’Arabie saoudite... où le port du voile est obligatoire.

J’irai même plus loin : un peuple qui a applaudi pendant près de quatre ans le Maréchal et son régime, qui a collaboré, activement ou passivement, à la déportation de ses citoyens juifs ou roms, se doit d’être modeste quand il critique les mœurs civilisationnelles des autres.


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