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Tartuffe à Mulhouse

E. Macron s’en est donc allé à Mulhouse le 18 février 2020, et y a prononcé un discours martial. Selon lui, "l’Islam politique n’a pas sa place chez nous".

Chacun a bien compris l’opération en cours. Il s’agit de reprendre les thèmes sarkozystes pour poursuivre le hold-up en cours sur l’électorat de LR. Il s’agit aussi de tenter de déplacer l’attention de l’Opinion sur des sujets moins inconfortables que le démantèlement en cours des acquis ouvriers - Sécu, retraites ou autres.

Évidemment, il n’a pas manqué de bons esprits pour conseiller de s’aligner sur celui-ci au nom de ce qu’il combattrait "le fascisme islamique". On verra plus loin que ce serait tomber dans le piège qu’il nous tend.

Un cancer politique

Un marxiste combat évidemment les religions, toutes les religions. Il se trouve des gens pour nous chanter que l’hostilité traditionnelle du mouvement ouvrier envers l’aliénation religieuse serait très exagérée, non dialectique, etc. [1]. Souvent, ils s’appuient dans leurs démonstrations sur une théologie dite de "la libération"... qui a quasiment disparu ! Certains vont même jusqu’à voir dans le fondamentalisme une forme de "résistance" à un racisme supposé des institutions.

À ces opportunistes, nous répondons avec Marx, que :

« Les principes sociaux du christianisme déclarent que toutes les vilenies des oppresseurs envers les opprimés sont, ou bien le juste châtiment du péché originel et des autres péchés, ou bien les épreuves que le Seigneur, dans sa sagesse infinie, inflige à ceux qu’il a rachetés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le prolétariat, qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que des son pain.
Les principes sociaux du christianisme sont des principes de cafards (...) ».

Et il va de soi que Marx, qui n’était pas un opportuniste, visait toutes les religions – fussent-elles pratiquées exclusivement par des ouvriers d’usine.

Voir la réalité en face

Depuis 1989, la question religieuse a repris de son acuité dans le débat public. Et c’est un fait incontestable que nous assistons à une remontée de l’obscurantisme. La grande différence avec les périodes antérieures étant bien sur que c’est l’Islam qui est en première ligne.

Sans entrer dans de grandes considérations internationales, c’est un fait que l’effondrement du mouvement ouvrier depuis la fin du XX° siècle, laisse la place nette aux cléricaux dans des villes entières. De nombreux ouvrages s’en sont fait l’écho, quelles que soient par ailleurs les intentions politiques de leurs auteurs. Le récent film Les misérables [2] est significatif de ce point de vue : dans nombre de quartiers prolétariens (où résident des gens ne disposant que de leur force de travail), les islamistes sont désormais la seule force organisée. Dans son brûlot sur les municipales, D. Daeninckx va dans le même sens lorsqu’il dénonce à juste titre le poids pris par les lobbies religieux musulmans à Aubervilliers.

Aucun travailleur ne peut se satisfaire de tout ceci. Pour les raisons évoquées par Marx ci-dessus, le développement de la religiosité dans les quartiers ouvriers ne fait que sanctionner et accélérer un recul de la conscience de classe. Pensons par exemple à ce que ceci signifie pour les jeune filles désireuses de s’émanciper de l’obscurantisme...

Le communautarisme

C’est dans ce contexte qu’E. Macron s’en est donc allé à Mulhouse prononcer un discours axé sur la lutte contre le "séparatisme musulman", le communautarisme.

Disons-le, au risque d’être suspecté de sympathies macronistes : le communautarisme est effectivement à combattre. C’est un important acquis démocratique et républicain que d’avoir promulgué en 1789 une stricte égalité des citoyens vivant au sein de la République nouvellement constituée. C’est ce principe qui présida par exemple à la liquidation des mesures anti-juives, selon le principe :

« Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».

Et depuis Marx, le mouvement ouvrier est profondément attaché au caractère unitaire de la République, ne serait-ce que parce que c’est un outil important pour souder les travailleurs face à l’État capitaliste et aux patrons.

Ceci étant, on sait que la montée du communautarisme dans certains quartiers a de profondes racines sociales. L’affaiblissement des services publics, en premier lieu l’Éducation Nationale mais aussi la mise sous tutelle des collectivités locales, est décisif pour expliquer la montée obscurantiste. Et sur tout ceci, Macron n’a évidemment rien à dire si ce n’est que l’offensive anti-ouvrière va se poursuivre.

Dans ce contexte, les grandes déclarations "républicaines" de Macron ne sont que gesticulation.

Exemple typique : dans son discours, Macron s’en est pris essentiellement à 3 pays – la Turquie, le Maroc et l’Algérie. Dit autrement, il a sciemment "oublié" les saoudiens et le Qatar. Deux pays qui ont un rôle important dans la montée des courants piétistes musulmans, mais que, pour des raisons commerciales, il ne faut pas fâcher. Gageons que les dirigeants de ces pays ont compris que leurs menées pouvaient continuer...

Ce qui est en jeu

En fait, la bourgeoisie française, que sert si bien Macron, n’est pas hostile "en soi" à l’Islam, et encore moins au fait religieux. Les capitalistes sont des gens sérieux, ils ne s’écharpent pas pour des questions théologiques.

Quant à leur « laïcité », elle est particulièrement sélective – pas question de toucher à l’école des curés ! Lors d’une récente conférence des évêques de France, on a pu mesurer ce qu’est la laïcité sauce Macron :

« Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l'Église et l'État s'est abîmé, et qu'il nous importe à vous comme à moi de le réparer »

Par contre, la bourgeoisie française s’inquiète de la montée de l’Islam car elle contrôle très mal ce culte et ses imams – encore moins que les autres religions. C’est là le cœur du sujet : l’ensemble des mesures annoncées à Mulhouse vont dans le sens du renforcement du contrôle des populations musulmanes par l’état.

Ainsi Macron a-t-il annoncé la fermeture du pays aux imams détachés. Bien sûr, aucun militant de gauche ne regrettera ces imams et leurs discours qui font froid dans le dos. Mais le problème est que Macron a dans le même mouvement annoncé un dispositif de formation spécifique des imams. On est donc en droit d’être inquiet face à une possible remise en cause d’un des fondements de la loi de 1905. Rappelons que l’article II de la loi affirme que

« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Et puis il y a l’affaire des ELCO, ces cours facultatifs de langue étrangère proposés au primaire et dans le secondaire, actuellement suivis par moins de 100 000 élèves. Ils sont dispensés par des enseignants recrutés par les autorités de neuf pays, l’Algérie, la Croatie, la Turquie, etc., en vertu d’accords bilatéraux.

Il est probable que Macron sache de qui il parle lorsqu’il dénonce des enseignements

« manifestement pas compatibles avec les lois de la République ou avec l’Histoire telle que nous la voyons ».

La leçon qu’on peut en tirer, c’est qu’il est extrêmement dangereux de laisser des personnes intervenir dans l’Éducation Nationale, hors de tout statut, en n’ayant passé aucun concours. Seuls des enseignants statutaires, disposant des compétences indispensables, doivent pouvoir intervenir dans les classes. Ce n’est évidemment pas la leçon qu’en tire Macron, qui nous annonce simplement un nouveau dispositif prévoyant un contrôle accru des intervenants.

Au final, les annonces de Macron ne consistent qu’en un tour de vis donné à la propagande bigotte, un renforcement du contrôle de l’État – en aucun cas un programme visant à faire reculer l’obscurantisme. Il va d’ailleurs de soi que ces mesures s’articulent avec les diverses mesures liberticides prises par le gouvernement au nom de la lutte contre le fondamentalisme (loi anti-terroriste, etc.).

Mulhouse, tout un symbole

Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, donc. Mais c’est à Mulhouse que Macron a jugé bon d’annoncer ses mesures. Il faut prendre la mesure d’un tel choix.

Comme toute l’Alsace, Mulhouse est soumise au statut concordataire, la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État ne s’y applique pas.

En pratique, quatre cultes sont reconnus (divers cultes chrétiens et le judaïsme), et l’État rémunère leurs ministres (curés, pasteurs, rabbins mais pas les imams, donc). Dans cette région, l’enseignement religieux est une matière obligatoire de l’enseignement public, à laquelle on n’échappe que par dérogation. Et la ville de Mulhouse annonce fièrement sur son site les discriminations en vigueur :

« Dans le cadre de ce statut concordataire et en complément de l’action de l’état, la mairie assure un logement aux représentants des quatre cultes (mise à disposition d’un logement ou indemnité).
Elle a aussi la charge de l’entretien des édifices cultuels municipaux (murs, toit et, dans certains cas, cloches et orgue) et verse des subventions pour l’entretien des édifices dont la paroisse est propriétaire ».

De tout cela, Macron n’a pas dit un mot, ce qui ne peut que renforcer le sentiment d’injustice existant parmi les populations immigrées.

En dernière analyse, tout ceci permet de caractériser le discours de Macron : un discours de stigmatisation, reprenant les thèmes classiques de la Droite française.

Quant à ceux qui veulent combattre la montée de l’obscurantisme, ils ne pourront le faire qu’en toute indépendance de Macron et de ses discours hypocrites.


[1] M. Löwy : « Opium du peuple ? Marxisme critique et religion », Contretemps n°12 (2005).

[2] Ce film ayant été tourné par un réalisateur guère hostile aux thèses indigénistes,personne ne peut dénoncer un parti-pris raciste dans ce qu’il montre.


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