pdf Articles mail

À propos de la politique de LO et de ses satellites

Palestine : face au sionisme, quelle politique ?

Un texte rédigé suite à de longs débats avec un militant du NPA « révolutionnaires ».

Questions de méthode

Nous sommes pro-palestiniens !

On sait que selon Marx-Engels :

« Comme le prolétariat doit d’abord conquérir le pouvoir politique à son profit, s’ériger en classe nationale, se constituer en nation, il est encore national dans cette mesure (...) » [1] .

Lénine allait préciser ces conceptions en insistant sur « La distinction entre les peuples opprimés et les peuples oppresseurs» [2] .

Exemple de cette méthode : la position prise par Trotsky concernant les affrontements sino-japonais des années 1930 :

« Le patriotisme japonais est le masque hideux d'exactions de par le monde entier. Le patriotisme chinois est légitime et progressiste  » [3] .

La IV° Internationale généralisa d’ailleurs ces conceptions :

« Le nationalisme dans les pays occidentaux est une arme du pouvoir capitaliste (...). Mais, dans les pays orientaux arriérés et opprimés, les mouvements nationalistes forment une composante à part entière de la lutte contre l'impérialisme mondial  » [4] .

À comparer à ce qu’affirme LO sur le même sujet :

« le mouvement ouvrier se doit de combattre le nationalisme qui oppose les travailleurs les uns aux autres » [5] .

Sur cette question, LO s’oppose donc frontalement au programme des trotskystes.

À ce propos, il faut revenir sur les critiques de LO (terriblement révélatrices) vis-à-vis des courants qui manifestent actuellement avec le drapeau palestinien (ce qui serait une capitulation face au « nationalisme » ). C’est au contraire parfaitement cohérent avec les principes politiques du mouvement communiste au sens le plus large : on se doit de soutenir les revendications des peuples opprimés par l’impérialisme, « composante à part entière de la lutte contre l'impérialisme ».

Communistes et nationalistes

Dans un article récent [6] , LO revient sur la question des rapports entre mouvements nationaux et mouvement ouvrier, ce qui est naturel. Malheureusement, comme on va le voir, ses conclusions sont pour le moins problématiques.

Renvoi dos à dos ?

Notons d’abord que cet article commence par affirmer que

« Lutte ouvrière n’est pas neutre et ne renvoie pas « dos-à-dos une organisation du mouvement national palestinien et l’État d’Israël ».

On aimerait le croire, mais les faits sont têtus. On pouvait encore lire récemment dans LO que

« En 1948, les États-Unis soutinrent la création d’Israël en tant qu’État juif. Les Palestiniens en furent chassés en masse (…) Dans les deux camps, les politiques nationalistes ont contribué à porter au pouvoir les plus extrémistes » [7]

Et on trouve dans une édition récente du quotidien Sud-Ouest le compte-rendu suivant d’un meeting LO auquel participait N. Arthaud :

« Prolétaires de France, de Palestine, d’Israël, unissons-nous ! » (...) Dans son discours tenu ce dimanche 12 novembre à Cenon, en Gironde, Guillaume Perchet, porte-parole régional de LO, a renvoyé chaque camp dos à dos. Des propos acclamés par 300 militants (...) » [8] .

Alors sommes-nous vraiment d’accord ? On est en droit de s’interroger.

Rapports entre communistes et nationalistes

Ceci étant, le cœur de l’article consiste en un rappel très discutable de la politique communiste vis-à-vis des peuples opprimés. En creux, on comprend quand même que la moindre collaboration, le moindre front commun anti-impérialiste – voilà qui n’est pas la tasse de thé des dirigeants de LO. Ainsi la politique du Secrétariat unifié est dénoncée car

« (...) se mettant à la remorque des mouvements nationalistes des pays pauvres, du PC chinois aux sandinistes nicaraguayens, en passant par le FNL vietnamien et le FLN algérien, tour à tour présentés à l’époque comme « porteurs du socialisme » [9] .

On voit pourtant mal en quoi se battre pour l’indépendance de l’Algérie aux côtés du mouvement national signifiait renoncer à la lutte pour le Socialisme – tout dépend des modalités de cette activité. Rappelons donc que l’Internationale Communiste, dans sa résolution coloniale du II° congrès, insistait sur

« la nécessité du concours de tous les partis communistes aux mouvements révolutionnaires d'émancipation dans ces pays, concours qui doit être véritablement actif et dont la forme doit être déterminée par le Parti communiste du pays, s'il en existe un (...) » [10] .

Ce qu’appliqua par exemple le jeune PCF en 1924-25 en soutenant les insurgés du Rif (Maroc) :

« Un télégramme est lu devant l’Assemblée nationale, adressé par P. Semard et J. Doriot au chef des rebelles du Rif. Les deux chefs communistes « saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abdel-Krim; espèrent qu’après la victoire définitive sur l’impérialisme espagnol, il continuera, en liaison avec le prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialismes, français compris, jusqu’à la libération complète du sol marocain (…) » [11] .

Et concernant la Palestine, voici ce qu’on pouvait lire dans la revue Quatrième Internationale en 1938, du vivant du même Trotsky :

« Dans le présent,les ouvriers doivent participer aux actions efficaces même pour des revendications partielles, contre le sionisme, pour l'auto-détermination, même sous la direction du mouvement nationaliste arabe. Cependant, le mouvement de classe autonome ne doit renoncer ni à son droit de critique, ni à son droit d'initiative. Les revendications du mouvement nationaliste arabe sont actuellement progressives, contre l'impérialisme anglais ».

Retour sur la question chinoise

Pour justifier l’indéfendable, dans le même article, LO tente de s’appuyer sur le précédent de la I° révolution chinoise :

« Pendant la révolution chinoise (1925-1927), (…) Zinoviev et Boukharine demandèrent au jeune Parti communiste chinois de soutenir le parti nationaliste Kuomintang et même de se fondre en son sein. La suite de l’histoire est connue : le Kuomintang de Tchang Kai-tchek s’empara du pouvoir, massacra les prolétaires et liquida les militants communistes qui l’avaient soutenu (...) » [12] .

Certes, Trotsky était contre toute intégration du PC chinois à l’organisation nationaliste du Kuomintang – la défense de l’indépendance du Parti Ouvrier n’étant pas négociable. Pour autant, l’Opposition de Gauche n’était pas indifférente à la lutte du peuple chinois pour l’unité du pays et son indépendance :

« Nous n'avons jamais nié que c'était le devoir du Parti communiste de participer à la guerre de la bourgeoisie et petite bourgeoisie du Sud contre les généraux du Nord, les agents de l'impérialisme étranger. Nous n'avons jamais nié la nécessité d'un bloc militaire entre le parti communiste et le Kuomintang. Au contraire, nous étions les premiers à le proposer » [13] .

La question juive : brefs rappels

À propos du nationalisme juif

Pour LO,

« Si les révolutionnaires reconnaissent le droit des Palestiniens à avoir leur propre État, ils reconnaissent aussi aux Israéliens, qui constituent aujourd’hui de fait une nation vivant sur le territoire de Palestine, le droit à avoir leur propre existence nationale » .

Cette position n’a JAMAIS été celle du mouvement ouvrier révolutionnaire. En ce qui concerne la question en débat, dès 1903, Lénine écrivait :

« (...) l’idée d’une « nationalité » juive porte un caractère nettement réactionnaire non seulement chez ses adeptes conséquents (les sionistes) mais aussi chez ceux qui s’attachent à la concilier avec les idées de la social-démocratie (les bundistes). L’idée d’une nationalité juive contredit les intérêts du prolétariat juif en créant chez lui, ouvertement ou implicitement, un état d’esprit hostile à l’assimilation (...) » [14]

Tout en nuançant le propos dans la forme, Trotsky était sur une longueur d’onde voisine :

« Je ne vois pas pourquoi on me considérerait comme un « assimilationniste » . (...) Je suis, cela va sans dire, un adversaire du sionisme et de toute attitude isolationniste de la part des travailleurs juifs. J'encourage les travailleurs juifs en France à se familiariser davantage avec les problèmes de la classe ouvrière française. (…) Étant donné que le pro­létariat juif est réparti dans différents pays, c'est une nécessité pour le travailleur juif que de s'ef­forcer de connaître, outre sa propre langue, celle des autres pays, car c'est une arme dans la lutte des classes. Qu'y a-t-il de commun entre cela et l'« assimilation » ? »

En fait, sans entrer dans un débat qui va au-delà de notre sujet, il est évident que dans les pays où les mécanismes d’intégration ont joué sans exacerber les oppressions (Europe occidentale, États-Unis), on constate un processus d’assimilation progressif des communautés juives. Par exemple, la presse juive publiée aux USA (en yiddish), autrefois importante, est en plein déclin.

Tout ceci pour dire que les marxistes n’ont jamais soutenu en aucune façon le nationalisme juif, le sionisme et sa revendication colonialiste de « foyer national » .

Ceci étant, l’existence de millions de juifs résidant actuellement en Palestine doit bien sûr être prise en compte. D’où la revendication d’une république laïque, au sein de laquelle les citoyens bénéficient d’une stricte égalité des droits, dans le respect des traditions culturelles propres à chaque communauté.

Travailleurs juifs et palestiniens

Rappels

La question des rapports entre colons (fussent-ils par ailleurs des prolétaires) et colonisés lors des guerres de libération est un vrai sujet. Il a été peu exploré par les grands théoriciens du marxisme car les guerres de libération (Algérie, Indochine, Angola...) ont surtout eu lieu durant la seconde moitié du XX° siècle.

Quelques positions de principe existent cependant. Voici comment Engels posait la question des rapports entre travailleurs anglais et irlandais au XIX° siècle :

« Lorsque les membres de l'Internationale appartenant à une nation conquérante demandent à ceux appartenant à une nation opprimée, non seulement dans le passé, mais encore dans le présent, d'oublier leur situation et leur nationalité spécifiques, d'« effacer toutes les oppositions nationales » , etc., ils ne font pas preuve d'internationalisme. Ils défendent tout simplement l'assujettissement des opprimés en tentant de justifier et de perpétuer la domination du conquérant sous le voile de l'internationalisme  » [15] .

On dispose aussi d’un article crucial de Trotsky, relatif à l’Afrique du Sud, une situation somme toute voisine de celle de la Palestine actuelle. Dans cet article, on peut lire

« Le prolétariat du pays comprend des parias noirs arriérés et une caste privilégiée arrogante de Blancs. (...) À tout ouvrier blanc, le parti révolutionnaire doit poser l'alternative : ou bien avec l'impérialisme britannique et avec la bourgeoisie blanche d'Afrique du Sud, ou bien avec les ouvriers et paysans noirs contre les féodaux et esclavagistes blancs et leurs agents au sein de la classe ouvrière même » [16] .

Comme on le voit, on est assez éloigné d’une « union des travailleurs noirs et blancs » à la LO...

Encore plus actuel, un article de la revue « Quatrième Internationale » publié du vivant de Trotsky (qui n’y trouva donc rien à redire) :

« L'ouvrier juif qui reconnaît la déclaration Balfour, le mandat britannique, l’État juif de la commission Peel, est au fond un sioniste qui attend tout de la protection de l'impérialisme anglais et du refoulement perpétuel des aspirations des peuples arabes opprimés. L'ouvrier juif palestinien qui exige des droits particuliers ne vaut pas mieux » .

Un angélisme hors de propos

Concernant les colons juifs, LO cultive l’angélisme, y voyant quasiment des travailleurs comme les autres :

« Partout il y a, comme ici, des travailleurs en butte à leurs gouvernants. Assimiler le peuple palestinien à la politique du Hamas, ou identifier les Israéliens à la politique de Netanyahou et des colons est aussi stupide que ranger les Français derrière Macron » [17] .
Dans son « projet de thèses sur la question juive après la seconde guerre impérialiste » (1947), le dirigeant de la IV° Internationale E. Mandel avait répondu par avance à ce type d’arguments :
« À l’exception de quelques milliers d’ouvriers juifs (...), tout le prolétariat industriel et agricole juif de Palestine est employé dans une industrie juive fermée, travaillant avec des afflux constants de capitaux étrangers et garantissant aux travailleurs juifs un standard de vie bien supérieur à celui des travailleurs arabes. En plus la communauté juive en Palestine vit dans la crainte constante d’un soulèvement arabe et en face de ce danger met tout son espoir dans une immigration continuelle et dans le maintien de l’occupation britannique ».

Rappelons que lors des élections de 2022, 80 % des électeurs ont voté pour des partis actuellement membres du cabinet de guerre de Netanyahou et Ganz...

Partant de là, Mandel en tirait la conclusion incontestable suivante (et toujours valable) :

« (...) à l’étape actuelle les masses juives de Palestine ne constituent pas, dans leur ensemble, une force anti-impérialiste et (...) la constitution d’un bloc judéo-arabe anti-impérialiste ne peut pas constituer un slogan dans l’agitation immédiate ».

Peronne ne peut croire une seconde que l’issue pour les palestiniens réside dans une hypothétique « jonction » avec les « prolétaires israéliens ». On notera comment Trotsky et la IV° Internationale posaient la question dès 1938 :

« La libération des chaines de l'impérialisme ne peut être l’œuvre que des ouvriers arabes et des fellahs de ce pays, unis aux ouvriers et fellahs des autres pays arabes, ainsi qu'aux ouvriers juifs anti-sionistes et anti-impérialistes de Palestine » [18] .

Précision nécessaire

Visiblement, on a du mal, du côté de LO, à comprendre tout ceci. Dans sa polémique avec le groupe « Révolution Permanente » , on peut lire que :

« RP nous reproche de plaider pour l’unité des travailleurs palestiniens et des travailleurs juifs, une aspiration qui ignorerait la réalité et ne tiendrait pas compte du « régime d’apartheid qui caractérise Israël » (30 octobre). Dans un autre article, RP prône pourtant « l’unité la plus profonde… aussi avec les travailleurs d’Israël disposés à rompre avec le sionisme » . Allez comprendre… »

Aidons donc LO à « comprendre » , puisqu’ils sont durs de la feuille. Dans la continuité des positions de la IV° Internationale depuis 1938, RP parle d’unité avec les travailleurs juifs anti-sionistes. Ce n’est pas la même chose que de laisser croire que travailleurs juifs et palestiniens pourraient ignorer la question du régime colonial ainsi que le prétend LO.

Ajoutons même que l’Histoire a montré que les travailleurs juifs qui trouveront la force de se rallier aux palestiniens ne seront sans doute qu’une minorité, ainsi qu’on l’a vu dans d’autres processus de décolonisation, en Algérie, en Afrique du Sud, etc.

Face au sionisme et à son État

Établissement de l’État d’Israël

Ne revenons pas ici en détail sur les origines du sionisme. Rappelons simplement l’idée géniale du sionisme « ouvrier » de Ben Gourion :

« En Palestine, (...), les organisations sionistes de gauche se perçoivent comme une avant-garde révolutionnaire, sur laquelle repose la victoire du marxisme ou du socialisme au Proche-Orient. Tout comme la bourgeoisie sioniste, elles partent du principe que, leur projet étant juste, moderne et progressiste, les Arabes ne pourraient qu’en bénéficier » [19] .

Tout ceci permit aux sionistes de s’assurer du soutien de la social-démocratie internationale dès l’après-guerre, en s’appuyant le contexte créé par les crimes nazis. Parallèlement, en novembre 1947, le Kremlin vota la résolution 181 à l’ONU, prévoyant la partition de la Palestine et la création de l’État d’Israël (on ne reviendra pas ici sur les raisons de cette forfaiture).

En 1948, quasiment toute la gauche officielle était donc pro-sioniste – la seule exception notable étant la IV° Internationale

« La position de la IV° Internationale vis-à-vis de la question palestinienne demeure aussi claire que dans le passé. Elle sera à l'avant-garde du combat contre la partition, pour une Palestine unie et indépendante, dans laquelle les masses détermineront souverainement leur destin par l'élection d'une Assemblée Constituante » [20]

Or il se trouve que le site internet marxists.org a récemment publié les positions d’alors de l’Union Communiste, groupe à l’origine du LO actuel. On y trouve notamment deux articles , « la lutte ouvrière et l’union des peuples » d’octobre 1947, et « Pourquoi le sang coule-t-il en Palestine ? » de mai 1948.

Au nom de « l’union des ouvriers juifs et arabes » , ces deux articles évitent soigneusement de se prononcer contre la résolution 181, contre la partition de la Palestine et la constitution de l’État d’Israël...

Depuis ce vote, LO s’est toujours opposé à la revendication démocratique de démantèlement de l’État sioniste, de république palestinienne sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique. Sans doute est-ce là qu’est le noyau de nos désaccords.

La question du Hamas

Inutile de refaire l’histoire de cette organisation, d’innombrables articles circulent sur le sujet.

Le caractère réactionnaire du Hamas est incontestable - son programme fondamental est d’établir en Palestine, un régime similaire à celui qui sévit en Iran. Et il est incontestable que le coup du 7 octobre relève du crime de guerre à saveur antisémite.

Au lendemain du 7.X, il fallait distinguer entre résistance palestinienne et islamistes – encore qu’il était tout aussi nécessaire de rappeler les responsabilités sionistes et impérialistes dans la place (incontestable) prise par le Hamas. Personne ne peut nier que c’est la faillite de l’OLP qui, depuis 1993 a ouvert un espace cette à organisation; le soutien dont elle jouit désormais dans toute la Palestine n’est pas contestable.

Et c’est effectivement faire preuve d’un opportunisme incontestable que de parler du Hamas comme d’une organisation de résistance, ainsi que le font la députée Obono, le groupe Révolution Permanente, etc. Ne serait-ce que parce que son accession au pouvoir ne représenterait aucun pas en avant pour le peuple palestinien.

Pour autant peut ont affirmer que « tous les travailleurs ont les mêmes intérêts et doivent s’unir dans une lutte commune contre Netanyahou et contre le Hamas » [21] ainsi que le défend LO ? Est-il opportun de dénoncer le Hamas actuellement ainsi que le fait LO ? Est-ce le Hamas qui est à l’origine de la campagne génocidaire actuelle de l’État sioniste ?

Rappelons cette citation connue de Trotsky :

« Il règne aujourd'hui au Brésil un régime semi-fasciste qu'aucun révolutionnaire ne peut considérer sans haine. Supposons cependant que, demain, l'Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous le demande : de quel côté sera la classe ouvrière ? Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du Brésil « fasciste » contre l'Angleterre « démocratique » . (...) Si au contraire le Brésil l'emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale [22] de ce pays et conduire au renversement de la dictature de Vargas (le dictateur brésilien - PM). La défaite de l'Angleterre porterait en même temps un coup à l'impérialisme britannique et donnerait un élan au mouvement révolutionnaire du prolétariat anglais » [23] .

Appliquons cette méthode à la situation actuelle. L’intérêt de la classe ouvrière mondiale est que Netanyahou et sa clique ne puissent « éradiquer » le Hamas, en admettant que ce soit possible - cela rendrait la résistance palestinienne encore plus difficile. C’est au peuple palestinien et à lui seul qu’il revient de gérer le cas du Hamas – d’où la nécessité de faire ce qui est possible pour qu’émergent d’authentiques organisations de classe en Palestine.

Il y a une autre dimension à cette question. On sait que le gouvernement israélien justifie sa campagne de terreur contre les palestiniens par la nécessité d’éradiquer « le terrorisme du Hamas » . Nous savons quant à nous que les tueries du 7 octobre sont un prétexte, l’objectif est en fait d’aboutir à une seconde vague de départs de Palestine, un seconde naqba.

Inutile, donc, de s’aventurer sur le terrain pourri de la lutte contre le Hamas.

Comment se pose la question de nos jours ?

Voici ce qu’écrivait LO lors de la guerre de 1973 (et qui reste d’actualité pour cette organisation) :

«(...) si, contre l'impérialisme américain, nous sommes dans le camp des pays arabes, y compris si la victoire de ce camp signifie la destruction de l'État d'Israël, nous ne pensons absolument pas que cette destruction serait en soi positive » [24] .

La destruction de l’État des rabbins, raciste, bigot, ne serait « absolument pas positive » . On croit rêver... Dans le même ordre d’idées, plus récemment, on pouvait lire que

« Nous sommes résolument pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce qui signifie dans le cas présent que nous reconnaissons le droit des Israéliens et des Palestiniens, à avoir un État indépendant. La défense de ce droit fait partie de la lutte contre toutes les formes d'oppression » [25] .

On est donc pas loin du soutien de la « solution » dite des « deux États » , éventuellement peinte en rouge… Quant au fait d’écrire que la légitimité d’un État juif, fondé sur l’expulsion des palestiniens, relèverait de la lutte contre les oppressions… Là on touche le fond.

Revendications démocratiques, revendications transitoires

Lorsqu’on interpelle un militant de la Palestine, il affirme en général « être contre l’État sioniste au même titre qu’il est contre l’état bourgeois français ».

« Le mot d’ordre de « destruction de l’État d’Israël » ne peut pas pour autant être le leur [celui des révolutionnaires NDLR], car les nationalistes qui l’avancent ne parlent évidemment pas de sa destruction par le prolétariat révolutionnaire, mais de sa destruction au profit d’un autre État » [26] .

Disons le tout net : on ne peut que partager l’aspiration des nationalistes dénonçés par LO. Car si sur les ruines de l’État sioniste, s’établissait un Etat démocratique, fut-il capitaliste, ce serait un pas en avant (de même que l’indépendance de l’Algérie a certainement été un pas en avant, même s’il demande à être prolongé).

En fait, LO fait un tour de passe-passe. L’État d’Israël est spécifique : c’est un État colonial, construit contre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (dans ce cas : le peuple palestinien). Ce que ne sont pas les Etats nationaux européens, par exemple.

Le programme de la IV° Internationale a toujours été sans ambiguité concernant ce type de situation.

« Le mot d'ordre d'assemblée nationale ou constituante reste le levier le plus puissant pour mener les masses au combat. Mais dans ce mot d'ordre, le parti révolutionnaire des travailleurs doit inclure tout le contenu de la révolution agraire et de la lutte pour la libération nationale ».

Dit autrement, la lutte pour en finir avec l’État sioniste, pour la Constituante palestinienne est une revendication démocratique, contenant un fort contenu d’agitation. Ce qui n’est pas le cas de la revendication transitoire de gouvernement ouvrier dans un pays tel que la France.

En mettant les deux questions sur le même plan, on n’aboutit qu’à faire du combat contre l’État soniste une perspective sans réelle implication pratique. N’était-ce d’ailleurs pas le but recherché ?

En guise de conclusion : contre l’État sioniste, pour la République palestinienne

Concernant le Proche-Orient, l’ensemble du monde politique impérialiste se prononce avec plus ou moins de sincérité pour une solution du type « deux États » . La quasi-totalité de la gauche au sens large les rejoint – LFI compris.

Sans qu’il soit nécessaire de se lancer dans de longues démonstrations, chacun sait ,y compris les défenseurs de cette « perspective » , qu’il n’y aura jamais « deux États ». Il suffit de rappeler par exemple que le nombre de colons installés en Cisjordanie a plus que quadruplé depuis les « accords » d’Oslo, permettant à l’État sioniste de renforcer encore son emprise sur les territoires occupés.

La seule perspective d’avenir pour le peuple palestinien demeure celle d’une république palestinienne structurée de façon à permettre à sa minorité juive de jouir des droits auxquels elle à droit. Cette perspective est lointaine, certes. Mais en 1980, qui imaginait que 10 ans plus tard, l’Allemagne serait réunifiée ?

Fondamentalement, depuis 1946, cette perspective n’est pas celle de LO, mais de la IV° Internationale et d’elle seule. Voilà qui permettra à chacun de mesurer ce qui nous oppose à cette organisation. À chacun de juger !


[1] Manifeste du parti communiste.

[2] Lénine : Rapport de la commission nationale et coloniale au II° congrès de l’Internationale Communiste (1920).

[3] Trotsky : Lettre à Diego Rivera sur la guerre sino-japonaise, 23.IX.1937.

[4] IV° Internationale : Résolution coloniale, mai 1940.

[5] N. Arthaud, meeting du 7.X.2023.

[6] L'extrême gauche, la question palestinienne et le Hamas, 23.XI.2023.

[7] Éditorial LO n°2880.

[8] Sud-Ouest, 12.XI.2023.

[9] Il va de soi que si seul le SU est cité, cette attaque vise tout autant les autres courants trotskystes – lambertistes, morénistes, etc.

[10] II° congrès de l’Internationale Communiste – thèses coloniales.

[11] N. Guennec : Le PCF et la guerre du Rif, Le Mouvement social, n° 78.

[12] LO : L'extrême gauche, la question palestinienne et le Hamas (23.XI.2023).

[13] Trotsky : Lettre à Diego Rivera sur la guerre sino-japonaise, 23.IX.1937.

[14] Lénine : la situation du Bund dans le Parti (1903).

[15] Conseil général de la I° Internationale, 14 mai 1872. Intervention d’Engels.

[16] Trotsky : le problème national et les tâches du parti prolétarien (1935).

[17] Éditorial LO, 9.X.2023.

[18] Ibid.

[19] Th. Vescovi: l'’inéluctable déclin du sionisme de gauche, Le Monde Diplomatique, mai 2021.

[20] IV° Internationale : la partition de la Palestine (1947).

[21] Cercle L. Trotsky n°174.

[22] Les militants de LO noteront que pour Trotsky « donner un élan à la conscience nationale » des peuples dominés est positif…

[23] Trotsky : la lutte anti-impérialiste (23.9.1938).

[24] La conférence internationale de novembre 1973, Lutte classes n° 15.

[25] Lutte classes n°3 : après l’accord Arafat-Rabin (1993).

[26] LO : L'extrême gauche, la question palestinienne et le Hamas (23.XI.2023).


pdf Articles mail