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L'écho rencontré par le livre La Meute est l'occasion de quelques remarques sur cette organisation.
Au début, il y a un jeune trotskyste de l'OCI, Mélenchon, qui décide de rejoindre le PS en 1976. Une fois au PS, il y manifeste le plus grand opportunisme vis-à-vis de Miterrand (c'était aussi le cas de l'OCI mais c'est une autre histoire qu'il faudra bien raconter un jour).
À partir des années 80 (1983 et la "rigueur"), le PS s'intègre de plus en plus profondément aux institutions de la V° République, relâchant dans toute la mesure du possible ses liens avec le mouvement ouvrier - on entre dans le social-libéralisme. Cette évolution rend la situation de Mélenchon de plus en plus intenable au sein du PS même si sa trajectoire est tout sauf linéaire (ainsi appelle-t-il à voter pour le traité de Maastricht en 1992, p. ex.).
En tout cas, il rompt avec le PS en 2008 et fonde alors le Parti de Gauche. Disons-le nettement : parti "réformiste-radical", ce PG était un authentique parti ouvrier, fonctionnant comme tel, même si le poids de Mélenchon y était évidemment écrasant. Aux présidentielles de 2012, candidat du Front de Gauche, Mélenchon obtient 11% notamment grâce à ses talents oratoires. C’est un incontestable succès.
Dit autrement, le PG aurait pu devenir un facteur important de la politique française, quoiqu'on pense de son programme.
Mais en février 2016 : Mélenchon constitue la FI au service de sa candidature que le PC, notamment, rechigne à soutenir à nouveau. Le PG est vite mis en sommeil.
Il faut y insister : la FI est dès le début une machine électorale au service d'un homme, épousant étroitement les mécanismes de la V° République, l’électoralisme bourgeois, en miroir du pouvoir personnel.
Rapidement, il y a aussi l'invention de la théorie du mouvement "gazeux", paravent trouvé pour justifier un fonctionnement de type bonapartiste. Ce qui va d’ailleurs vite provoquer des contradictions en interne : Ch. Girard, autrice d’un rapport préconisant un fonctionnement démocratisé quitte la FI dès 2019...
La rupture avec les normes de fonctionnement du mouvement ouvrier est donc incontestable et il est faux de parler de la FI comme d'une organisation de type "réformiste", même si son programme (L’avenir en commun), est de ce type. Contrairement aux partis socialiste ou communiste, ce mouvement ne trouve pas ses origines, même lointaines, dans la lutte séculaire des salariés contre l’exploitation. La FI n’existe qu’à cause de la nécessité de s’inscrire dans le jeu électoral de l’État capitaliste. Ce n’est pas la même chose, quelle que soit la proximité des programmes.
L’éloignement du mouvement ouvrier ne touche d’ailleurs pas seulement le fonctionnement. La théorie traditionnelle du mouvement ouvrier est aussi l'objet de premières remises en cause, en premier lieu l'approche de classe. Dès ces années, le lider maximo donne une place importante au "populisme", théorisé par les philosophes Laclau et Mouffe. Ces théories contraires au matérialisme marxiste (voir p. ex. les articles de Y. Douet ou de J. Quétier pour davantage de détails) privilégient une pseudo opposition peuple/oligarchie par rapport à celle de la classe ouvrière face à la bourgeoisie. Au passage, Mélenchon y adjoint une incontestable tonalité cocardière.
De plus, dès ces années, la question de la complaisance de Mélenchon envers la dictature de Poutine commence à se poser. En 2015, le dictateur russe intervient en effet en Syrie : l’objectif est de renforcer la dictature baasiste au nom de la lutte contre Daech. Le simple bon sens aurait demandé de ne prendre parti pour aucun des camps en présence, aussi infréquentables les uns que les autres. Ce n’est pas ce que fera Mélenchon. Il choisit au contraire de reprendre à son compte la propagande du Kremlin :
« — L. Salamé : « Poutine, est-ce que vous êtes pour ce qu’il est en train de faire en ce moment en Syrie ? »
— Jean-Luc Mélenchon : « Oui. »
— L. Salamé : « Il fait quoi, là, en Syrie ? »
— Jean-Luc Mélenchon : « Je pense qu’il va régler le problème. »
— L. Salamé : « Et c’est quoi ? Comment ? »
— Jean-Luc Mélenchon : « Éliminer Daech. » (Le Monde, 16.XII.2016)
Il n'empêche que la proclamation de la FI sera un succès. Profitant du discrédit total du PS après la présidence Hollande, aux présidentielles 2017, Mélenchon enregistre 19,6% des voix. L'organisation se gonfle de nombreux cadres issus du PC ou de l'extrême-gauche. Par contre, dès cette époque, les résultats électoraux de la FI aux autres élections restent limités. Aux européennes de 2019, la liste menée par M. Aubry n’obtient que 6,31 % des voix. Et l’activité du mouvement sur le terrain social, celui de la lutte de classes, est quasi-négligeable. Le succès de la FI a donc ses limites.
Jusque vers 2019, on trouve dans le discours de Mélenchon des traces de sa formation trotskyste, plus précisément OCI. On sait que cette organisation accordait une place importante à la défense de la laïcité.
Mais en 2019, Mélenchon "tourne" et abandonne cette laïcité. La FI signe alors un appel à manifester qui se prononce contre "l'islamophobie", terme ambigu à souhait dont la fonction est d’assimiler racisme et hostilité au fait religieux. En conséquence, l'aile « laïcarde » (et souvent cocardière) de la FI est purgée, et les éléments communautaristes du mouvement prennent le dessus. Une dirigeante du Parti dit des Indigènes de la République se félicitera de ce que Mélenchon soit devenu l'otage de ce courant. Elle voyait juste.
Désormais le cœur de cible de la FI ne sera plus le salariat mais "les quartiers populaires" (les deux notions ne se confondent pas). Tout ceci se fait en miroir du déploiement de théories anti-marxistes connues sous le terme d'intersectionnalité accueillies avec enthousiasme au sein de la FI. Au-delà des nuances des innombrables travaux désignés sous ce terme, leur point commun est de surdéterminer la lutte contre les oppressions au détriment de la centralité de la question sociale, socle du marxisme. Bref, de refuser de privilégier la lutte de classes, la question sociale, au profit de l'idéologie.
En interne aussi, la FI change. Sa direction se renouvelle, laissant la part belle à de jeunes militants totalement dévoués au grand chef ("je suis le fils de Dieu", ose déclarer le député Delogu....) et en général très éloignés du mouvement ouvrier (exemple type : Panot, Aubry, etc.). On remarquera d'ailleurs que la direction FI compte très peu de militants passés par le syndicalisme...
Il est impossible de constituer un appareil cohérent avec un tel matériel humain. C'est là qu'intervient le POI, rallié à partir de 2017. Au fil des ans, il s'avère être un atout non négligeable pour "tenir" la FI.
À dire vrai, ce POI n’a plus grand chose à voir avec l’OCI des années 70. Entre temps, l’OCI s’est transformée en PT, puis en POI – centrant son activité sur une pseudo ligne « de la démocratie » et menant un combat obsessionnel contre l’Union Européenne. Résultat : le parti, qui comptait plus de 5000 membres vers 1981, est aujourd’hui réduit à quelques centaines de membres vieillissants, mais disposant d’une expérience réelle des combines d’appareil.
Ce POI va donc se mettre au service de Mélenchon (et pas l’inverse), avec son savoir-faire et la brutalité de ses « méthodes » .
Un premier test a lieu en 2022 lors de l’affaire Quatennens, ce député coupable de violences conjugales redevenu salarié en 2024. On sait que lors de la découverte de l’affaire, Mélenchon avait tenté de protéger son « poulain » jusqu’au bout, n’hésitant pas à se heurter à toutes les « féministes » de la FI. A cette occasion le POI monta en première ligne, avec la finesse qu’on lui connaît...
En 2022, Mélenchon est à nouveau candidat à la présidentielle : 22%. Contrairement aux rodomontades mélenchoniennes, ce score (7,7MM de voix) est proche de celui de 2017 (aux 7 MM de voix d’alors, il faut ajouter une partie des 2,3MM de voix de B. Hamon). Ceci étant, le résultat est incontournable.
Mais si on pousse plus loin l’analyse, on ne peut que constater que les couches profondes du salariat n'avaient guère voté Mélenchon. Le socle électoral de la FI se cristallise sur la jeunesse et les personnes issues de l'immigration. Bref, tout ceci confirme le caractère distancié de la FI vis-à-vis du mouvement ouvrier.
Au passage, cette campagne a été l'occasion de nouveaux alignements, par exemple sur la question européenne. On sait que l'OCI puis le PT, etc. défendaient, avec plus ou moins de bonheur, le mot d'ordre de rupture avec l'UE. Mélenchon avait conservé cette hostilité à l’Europe des capitalistes. Mais la rupture avec l’UE n'a de sens qu'adossée à un programme anticapitaliste (l’Europe des travailleurs, les États-Unis Socialistes d'Europe). Un tel langage n'est évidemment pas tolérable pour une organisation électoraliste. D'où diverses circonvolutions qui avaient fait office de ligne jusque-là (étant entendu que c'était aussi un gage concédé à l'aile souverainiste de la FI, désormais purgée).
La présidentielle de 2022 sera donc l’occasion de réaligner le mouvement : il ne sera plus question de rupture avec l’UE, seule subsistera la perspective totalement utopique d’une Europe « sociale » , d’ailleurs parfaitement incompatible avec les règlements européens.
Comme on l’a vu, c'est une évidence que les questions sociales, p ex la défense des services publics, sont peu prises en compte à la FI. Ces questions n’ont certainement pas droit à la même attention que l’anti-racisme ou la Palestine de la part de la direction du mouvement – on peut d’ailleurs douter que ses dirigeants soient aptes à traiter de telles questions.
On a pu en prendre la mesure en 2023, lors du mouvement sur les retraites. Dès le début du mouvement, on savait que le gouvernement Borne aurait recours au dispositif profondément anti-démocratique du 49ter. Il y avait donc matière à intervenir en combinant revendications sociales et agitation politique contre la V° République, avant que Borne ne dégaine. Cela aurait pu se concrétiser par une montée nationale à l’Assemblée à l’occasion du vote (on sait que spontanément, des manifestants s’y rassemblèrent alors). Mais en fait, la FI n’a guère fait plus qu’accompagner un mouvement dont la direction fut laissée aux appareils syndicaux, avec leurs journées d’action à répétition. Sa seule activité notable fut une séance de plus de provocations à l’Assemblée.
Soit dit en passant, on peut faire le même constat actuellement. On ne peut que constater le service minimum actuellement en œuvre sur la question d'Arcelor : une forte campagne contre l’UE, pour la nationalisation et contre les licenciements qui s’annoncent aurait pourtant été bienvenue.
En interne, l'influence du POI sur Mélenchon semble aussi se renforcer durant ces mois.
Concernant l'Ukraine, les prises de position vont donc aller dans le sens d’une complaisance assumée envers le Kremlin, tout en conservant l’ambiguïté nécessaire pour éviter de "faire péter la baraque", tant la haine de Poutine est forte dans ce pays. Mélenchon délègue donc au représentant du POI, Legavre, le soin de faire le travail. Exemple : en juin 2024, Legavre pond un tweet affirmant que « Zelensky n’est pas le bienvenu en France » , reprenant à son compte le récitatif du Kremlin sur l’absence de libertés en Ukraine. La mansuétude dont bénéficie ledit Legavre de la part de la direction « insoumise » est évidemment intentionnelle. Elle indique à chacun qu’il agissait avec l’accord du grand chef.
Tout ceci a été largement occulté jusqu’ici grâce à l’activisme de la direction sur la question palestinienne, où elle sert de colonne vertébrale au mouvement de solidarité. Les accusations d’« antisémitisme » venant de la droite ne font que renforcer la popularité de la FI dans « les quartiers » . Ceci étant, même là, on assiste à d’incontestables dérapages. Ainsi le député socialiste J. Guedj, est scandaleusement renvoyé par Mélenchon à ses origines juives : il aurait « renié les principes les plus constants de la gauche du judaïsme en France ». Qu’on se comprenne : les positions sionistes de Guedj, reconnaissant la légitimité d’un État colonial, ségrégationniste, doivent être combattues. Mais pas n’importe comment, et pas avec n’importe quels mots.
Au-delà, depuis 2024, Mélenchon donne libre cours à une politique de division, d’agressions tous azimuts, où la moindre contradiction est traitée avec une brutalité invraisemblable.
Ainsi, dès décembre 2022, l'aile « unitaire » de la direction FI (Corbière, Autain, etc.) n'est pas reconduite à la direction du mouvement. Cette « sensibilité » est essentiellement composée d’authentiques réformistes, mais qui aspirent à un fonctionnement respectant un minimum de normes démocratiques, ne serait-ce que pour avoir voix au chapitre. Elle a évidemment rencontré un écho au fur et à mesure des outrances de Mélenchon et ses porte-flingues.
Durant ces mois, Mélenchon, qui hésitait, décide de se représenter aux présidentielles de 2027. Il laisse même entendre que sa victoire est possible, ce qui est une galéjade. Problème : la direction socialiste n’en veut plus, le jugeant trop clivant.
Une campagne à la fois obsessionnelle et infantile est alors lancée contre le PS. Ainsi, Mélenchon prend il soin de faire savoir qu’il « n’aime pas » les dirigeants socialistes. Plus récemment, le même affirmait que « le Parti socialiste n’est plus un partenaire » . Qu’on se comprenne : exprimer son refus de la politique du PS est évidemment indispensable. Mais ça ne peut être fait qu’au nom de l’Unité du monde du Travail, ce qui est à mille lieux de la campagne mélenchoniste.
En tous cas, ces gesticulations aboutissent en fait à l'affaiblissement de la FI - dans certains milieux, Mélenchon est devenu un véritable repoussoir. Et cette politique n’aboutit en retour qu’à remettre en selle l’aile la plus droitière du PS, celle qui derrière Hollande refuse toute alliance avec la FI – ce qui signifie sans doute qu’elle s’oriente vers un bloc avec les macronistes en 2027 (on y verra plus clair lors du congrès à venir du PS).
Cet affaiblissement a pu se mesurer tout ceci lors des élections européennes. La liste du candidat bourgeois « démocrate » Glucksmann, soutenu par le PS, obtient 13,83 %, celle de la FI n’obtenant que 9,89 %. Dit autrement, pour l’électorat de gauche, Mélenchon n’est plus le candidat naturel qu’il prétend être.
Et puis, pour couronner le tout, dans la foulée de ces européennes, la direction de la FI va s’engager dans la purge scandaleuse de ses candidats critiques (Corbière, Davi, Garrido…) pour les législatives anticipées de 2024. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner que le POI est derrière cette manœuvre sordide.
Cette purge va d’ailleurs précipiter la rupture avec Fr. Ruffin qui tire alors le bilan de ce que les prolétaires de sa circonscription ne sont pas le cœur de cible de la FI…
Comme on l’a vu, la FI n’est en aucun cas un authentique parti ouvrier. Il s’agit tout au plus d’une organisation étroitement cadenassée par ses dirigeants, avant tout Mélenchon et au service de ses ambitions essentiellement électorales. Au fur et à mesure des outrances de ce dernier, il suscite le rejet d’une frange de plus en plus importante de l’électorat populaire – voir les municipales de Villeneuve St Georges. Le succès du livre La meute n’a rien d’un complot, c’est le reflet, la conséquence de la ligne Mélenchon.
Il faut y insister : du point de vue idéologique, cette organisation répercute la pression des divers courants anti-marxistes qui pullulent dans les milieux intellectuels – ceux pour qui l’anti-racisme pourrait se substituer à la lutte de classe, notamment.
Si ce mouvement a effectivement conquis une influence incontestable dans la jeunesse et la population issue de l’immigration, on ne peut qu’être frappé par le fait qu’il n’est en aucun cas un cadre d’organisation pour le monde du Travail. Parallèlement la décomposition du « vieux » mouvement ouvrier se poursuit. Sans surprise, donc, le renforcement de l’extrême-droite s’accentue, notamment sur le terrain électoral.
La nécessité de la période est celle de la reconstruction d'un Parti du Travail inclusif, donc nécessairement démocratique (cf. les élaborations de Trotsky sur la question du Labor Party). Inévitablement, un tel outil politique se doterait d’un programme de rupture avec l’économie de profit, permettant au mouvement ouvrier de se reconstruire. A l’heure où l’extrême-droite est aux portes du pouvoir, l’enjeu n’est pas mince.
10.05.2025
[1] Post de S. Hayat, mais 2025.
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